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la mienne, on ne nous ait pas transmis de cet illustre aveugle d’autres particularités intéressantes. Il y avait peut-être plus de lumières à tirer de ses réponses, que de toutes les expériences qu’on se propose. Il fallait que ceux qui vivaient avec lui fussent bien peu philosophes ! J’en excepte cependant son disciple, M. William Inchlif, qui ne vit Saunderson que dans ses derniers moments, et qui nous a recueilli ses dernières paroles, que je conseillerais à tous ceux qui entendent un peu l’anglais de lire en original dans un ouvrage imprimé à Dublin en 1747, et qui a pour titre : The Life and character of Dr. Nicholas Saunderson late lucasian Professor of the mathematicks in the university of Cambridge ; by his disciple and friend William Inchlif, Esq.[1] Ils y remarqueront un agrément, une force une vérité, une douceur qu’on ne rencontre dans aucun autre récit, et que je ne me flatte pas de vous avoir rendus, malgré tous les efforts que j’ai faits pour les conserver dans ma traduction.

Il épousa en 1713 la fille de M. Dickons, recteur de Boxworth, dans la contrée de Cambridge ; il en eut un fils et une fille qui vivent encore. Les derniers adieux qu’il fit à sa famille sont fort touchants. « Je vais, leur dit-il, où nous irons tous ; épargnez-moi des plaintes qui m’attendrissent. Les témoignages de douleur que vous me donnez me rendent plus sensible à ceux qui m’échappent. Je renonce sans peine à une vie qui n’a été pour moi qu’un long désir et qu’une privation continuelle. Vivez aussi vertueux et plus heureux, et apprenez à mourir aussi tranquilles. » Il prit ensuite la main de sa femme qu’il tint un moment serrée entre les siennes : il se tourna le visage de son côté, comme s’il eût cherché à la voir ; il bénit ses enfants, les embrassa tous, et les pria de se retirer, parce qu’ils portaient à son âme des atteintes plus cruelles que les approches de la mort.

L’Angleterre est le pays des philosophes, des curieux, des systématiques ; cependant, sans M. Inchlif nous ne saurions de Saunderson que ce que les hommes les plus ordinaires nous en auraient appris ; par exemple, qu’il reconnaissait les lieux où il

  1. C’est en rendant le Dr  Inchlif responsable de ses suppositions sur les derniers moments de Saunderson que Diedrroit indisposa les Anglais.