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s’ensuit ou qu’il jugera chaque homme selon la loi qu’il aura sincèrement admise, ou que, s’il les juge tous par la même loi, ce ne peut être que par la loi naturelle qui également connue de tous, les a tous également obligés.


VIII.


Je dis, d’ailleurs : il y a des hommes dont les lumières sont tellement bornées, que l’universalité des sentiments est la seule preuve qui soit à leur portée ; d’où il s’ensuit que la religion chrétienne n’est pas faite pour ces hommes-là, puisqu’elle n’a point pour elle cette preuve, et que par conséquent ils sont, ou dispensés de suivre aucune religion, ou forcés de se jeter dans la religion naturelle dont tous les hommes admettent la bonté.


IX.


Cicéron, dit l’auteur des Pensées philosophiques[1], ayant à prouver que les Romains étaient les peuples les plus belliqueux de la terre, tire adroitement cet aveu de la bouche de leurs rivaux. Gaulois, à qui le cédez-vous en courage, si vous le cédez à quelqu’un ? aux Romains. Parthes, après vous, quels sont les hommes les plus courageux ? les Romains. Africains, qui redouteriez-vous, si vous aviez à redouter quelqu’un ? les Romains. Interrogeons à son exemple le reste des religionnaires, dit l’auteur des Pensées. Chinois, quelle religion serait la meilleure si ce n’était la vôtre ? la religion naturelle. Musulmans, quel culte embrasseriez-vous, si vous abjuriez Mahomet ? le naturalisme. Chrétiens, quelle est la vraie religion si ce n’est la chrétienne ? la religion des Juifs. Et vous Juifs, quelle est la vraie religion si le judaïsme est faux ? le naturalisme. Or ceux, continuent Cicéron et l’auteur des Pensées, à qui l’on accorde la seconde place d’un consentement unanime et qui ne cèdent la première à personne, méritent incontestablement celle-ci.


X.


Cette religion est la plus sensée au jugement des êtres raisonnables, qui les traite le plus en êtres raisonnables, puisqu’elle ne leur propose rien à croire qui soit au-dessus de leur raison et qui n’y soit conforme.

  1. Se rappeler que cette étude sur la Religion naturelle était attribuée à Vauvenargues.