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petit établissement et prit congé de son fils. Mais le bonhomme aimait trop chèrement cet enfant pour l’abandonner sans être tout à fait tranquille sur son sort ; il eut la constance de rester quinze jours de suite à tuer le temps et à périr d’ennui dans une auberge sans voir le seul objet pour lequel il y séjournait. Au bout de ce temps il fut au collège, et mon père m’a souvent dit que cette marque de tendresse et de bonté l’aurait fait aller au bout du monde, si le sien l’eût exigé. « Mon ami, lui dit-il, je viens savoir si votre santé est bonne, si vous êtes content de vos supérieurs, de vos aliments, des autres et de vous-même. Si vous n’êtes pas bien, si vous n’êtes pas heureux, nous retournerons ensemble auprès de votre mère. Si vous aimez mieux rester ici, je viens vous prêcher, vous embrasser et vous bénir… » Mon père l’assura qu’il était parfaitement content et qu’il se plaisait beaucoup dans cette nouvelle demeure. Alors mon grand-père prit congé de lui et passa chez le principal afin de savoir s’il était aussi satisfait que son élève. « Assurément, monsieur, lui répondit celui-ci, c’est un excellent écolier, mais il y a huit jours que nous l’avons vertement chapitré, et s’il continuait, on ne pourrait le garder bien longtemps. »

Il avait trouvé dans ses nouveaux camarades un jeune homme assez triste, il lui avait demandé le sujet de son souci ; celui-ci lui avoua que l’on devait composer le lendemain, et qu’il était fort embarrassé de sa besogne. Mon père lui proposa de la faire à sa place ; en effet le jeune homme déposa son papier dans une garderobe, mon père l’y suivit, fit le devoir, et les professeurs le trouvèrent parfaitement bien ; mais ils ajoutèrent que jamais ce devoir ne pouvait être l’ouvrage de celui qui le présentait, et le forcèrent d’en nommer l’auteur ou de sortir sur-le-champ du collège. Le jeune homme avoua que le nouveau venu s’en était chargé ; ils furent tous les deux très houspillés, et mon père renonça à la besogne des autres pour ne s’occuper que de la sienne. L’objet de tant de fracas était un morceau de poésie ; il fallait mettre en vers le discours que le serpent tient à Ève quand il veut la séduire : étrange sujet de composition pour de jeunes écoliers !

Au collège d’Harcourt, il fit plusieurs amis ; il s’était lié avec l’abbé de Bernis, poëte alors, et depuis cardinal. Ils allaient tous deux dîner à six sous par tête, chez le traiteur voisin ; et je l’ai souvent entendu vanter la gaieté de ces repas.

Ses études finies, son père écrivit à M. Clément de Ris, procureur