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fisez ; je veux vivre et mourir avec vous. Cette solitude fût-elle autant affreuse qu’elle est riante, dussent ces jardins enchantés se transformer en des déserts, Phédime vous y verrait, votre Phédime y serait heureuse. Puissent ma tendresse, ma fidélité, mon cœur et les plaisirs d’un amour mutuel, vous dédommager des sacrifices que vous m’avez faits ! Mais, hélas ! ils finiront ces plaisirs !… en les perdant, j’aurai du moins la douce consolation de sentir votre main me fermer les yeux, et d’expirer entre vos bras. »

19. Ami, que crois-tu que cela devint ? Agénor, après avoir éprouvé sur le sein de Phédime les transports les plus doux, se sépara d’elle. Il ne s’éloignait que pour un instant. Il devait revenir dans la minute la retrouver sur les fleurs où il l’avait laissée. Mais une chaise de poste qui l’attendait le porta comme un éclair à la cour. Il y sollicitait depuis longtemps une place importante. Son crédit, les intrigues, les mouvements de sa famille, de riches présents aux ministres ou à leurs courtisanes, le manège de quelques femmes qui avaient médité de l’enlever à Phédime, lui firent obtenir ce qu’il demandait, et des lettres lui avaient annoncé ce succès un instant avant que d’entamer avec sa maîtresse cette conversation si tendre que je t’ai rapportée.

20. Agénor s’éloignait ; et cependant un rival, qui n’attendait que son absence, franchissait une charmille qui le cachait, et lui succédait dans les bras de Phédime. Ce nouveau venu eut son règne comme un autre ; on l’accabla de caresses, et on lui donna des successeurs.

21. Tu vois quelle est la vérité des amours ; écoute et juge de la sincérité des amitiés.

22. Bélise était une intime amie de Galiste ; toutes deux étaient jeunes, sans maris, adorées de mille amants, et décidées pour les plaisirs. On les voyait ensemble au bal, au cercle, aux promenades, à l’opéra. C’étaient des inséparables. Elles se consultaient sur leurs plus importantes affaires. Bélise n’achetait pas une étoffe, que Caliste ne l’eût approuvée ; Caliste n’alla jamais chez son bijoutier, sans être accompagnée de Bélise. Que te dirai-je ? le jeu, les parties, les soupers, tout était commun entre elles.

23. Criton était aussi ami d’Alcippe, mais ami de tous les