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tisan Agénor et la jeune Phédime. Agénor, détrompé de la cour et las des espérances, avait, disait-il, renoncé aux honneurs : les caprices du prince et les injustices des ministres l’avaient écarté d’un tourbillon dans lequel il travaillait vainement à s’avancer : en un mot, il avait vu la vanité des grandeurs. De son côté Phédime, revenue de la galanterie, n’avait conservé d’attachement que pour Agénor. Tous deux s’étaient retirés du monde et s’étaient proposé de filer dans la solitude des amours éternelles. Je les entendis s’écrier : « Que nous sommes heureux ! quelle félicité est égale à la nôtre ? tout respire ici l’aisance et la liberté. Lieux pleins de charmes, quelle paix et quelle innocence ne nous offrez-vous pas ! Les lambris superbes que nous avons abandonnés, valent-ils vos ombrages ? chaînes dorées, sous lesquelles nous avons gémi si longtemps, on ne sent bien toute votre pesanteur que quand on ne l’éprouve plus ! joug brillant qu’on se fait gloire de porter, qu’il est doux de vous avoir secoué ! Libres de toute inquiétude, nous nageons enfin dans un océan de délices. Nos plaisirs, pour être faciles, n’en sont pas devenus moins piquants. Les amusements se sont succédé, et jamais l’ennui n’a versé sur eux son poison. C’en est fait : les devoirs impérieux, les attentions forcées, les égards simulés ne nous obséderont plus. La raison nous a conduits dans ces lieux, et l’amour seul nous a suivis… Que nos moments sont différents de ces journées sacrifiées à des usages ridicules, ou à des goûts bizarres ! Que ces jours nouveaux n’ont-ils commencé plus tôt, ou que ne sont-ils éternels ! Mais pourquoi s’occuper de l’instant qui doit les terminer ? hâtons-nous d’en jouir.

17. — Mon bonheur, disait Agénor à Phédime, est écrit dans vos yeux : jamais je ne me séparerai de ma chère Phédime ; non jamais, j’en jure ces yeux. Solitude délicieuse, vous fixerez tous mes désirs ; lit de fleurs que je partage avec Phédime, vous êtes le trône de l’amour, et le trône des rois est moins délicieux que vous.

18. — Cher Agénor, répondait Phédime, rien ne m’a jamais touchée comme la possession de votre cœur. De tous les courtisans, vous seul avez su me plaire et triompher de ma répugnance pour la retraite. J’ai vu vos feux, votre fidélité, votre constance, j’ai tout abandonné, et j’ai trouvé que j’abandonnais trop peu. Tendre Agénor, cher et digne ami, vous seul me suf-