aujourd’hui qui je veux être, et je vais vous démontrer que peut-être je suis vous-même, et que vous n’êtes rien ; soit que je m’élève jusque dans les nues, soit que je descende dans les abîmes, je ne sors point de moi-même, et ce n’est jamais que ma propre pensée que j’aperçois, » me disait-il avec emphase, lorsqu’il fut interrompu par une troupe bruyante qui seule cause tout le tumulte qui se fait dans notre allée.
9. C’étaient de jeunes fous qui, après avoir marché assez longtemps dans celle des fleurs, étaient venus toujours en tournoyant dans la nôtre ; ils étaient tout étourdis, et on les eût pris pour des gens ivres, tant ils en avaient la contenance et les propos. Ils criaient qu’il n’y avait ni prince, ni garnison, et qu’au bout de l’allée ils seraient tous joyeusement anéantis ; mais de toutes ces imaginations, pas une bonne preuve, pas un raisonnement suivi. Semblables à ceux qui vont la nuit en chantant dans les rues, pour faire croire aux autres et se persuader peut-être à eux-mêmes qu’ils n’ont point de peur, ils se contentaient de faire grand bruit. S’ils revenaient de ce fracas pendant quelques instants, c’était pour écouter les discours des autres, en attraper des lambeaux, et les répéter comme leurs, en y ajoutant quelques mauvais contes.
10. Ces fanfarons sont détestés par nos sages, et le méritent : ils n’ont aucune marche arrêtée ; ils passent et repassent d’une allée dans une autre. Ils se font porter dans celle des épines, lorsque la goutte les prend : à peine est-elle passée, qu’ils se précipitent dans celle des fleurs, d’où la tocane nous les ramène : mais ce n’est pas pour longtemps. Bientôt ils iront abjurer aux pieds des guides tout ce qu’ils avançaient parmi nous, prêts néanmoins à s’échapper de leurs mains, si l’âcreté des remèdes leur porte à la tête de nouvelles vapeurs. Bonne ou mauvaise santé fait toute leur philosophie.
11. Pendant que j’examinais ces faux braves, mon visionnaire avait disparu, et je m’amusai à en considérer d’autres qui se rient de tous les voyageurs, n’étant eux-mêmes d’aucun sentiment, et ne pensant pas qu’on en puisse prendre de raisonnable. Ils ne savent d’où ils viennent, pourquoi ils sont venus, où ils vont, et se soucient fort peu de le savoir ; leur cri de guerre est : Tout est vanité.
12. Parmi ces troupes, il y en a qui vont de temps en temps