différentes pièces de leur armure. Presque tous ont pour casque une espèce de lucarne mobile, ou l’enveloppe d’un pain de sucre, qui tantôt leur couvre la tête et tantôt leur tombe sur les épaules. Ils ont conservé la moustache des Sarrazins, et le brodequin des Romains. C’est d’un de ces corps qu’on tire, dans certains cantons de l’allée des épines, les grands-prévôts, les archers et les bourreaux de l’armée. Ce conseil de guerre est sévère : il fait brûler vifs les voyageurs qui refusent de prendre le bandeau, ceux qui ne le portent pas à sa fantaisie, et les déserteurs qui s’en défont ; le tout par principe de charité. C’est encore de là, mais surtout d’un grand bataillon noir, que sortent des essaims d’enrôleurs, qui se disent chargés de la part du prince de battre la caisse en pays étrangers, de faire des recrues sur les terres d’autrui, et de persuader aux sujets des autres souverains de quitter l’habit, la cocarde, la toque et le bandeau qu’ils en ont reçu, et de prendre l’uniforme de l’allée des épines. Quand on attrappe ces embaucheurs, on les pend, à moins qu’ils ne désertent eux-mêmes ; et pour l’ordinaire, ils aiment mieux être déserteurs que pendus.
29. Tous ne sont pas si entreprenants, et ne vont pas chercher des aventures dans les pays lointains et barbares. Renfermés sous un hémisphère moins vaste, il y en a qui se font des occupations différentes, suivant leurs talents et la destination de leurs chefs, qui savent habilement les employer au profit de leurs corps. Tel que la nature a favorisé d’une mémoire sûre, d’un bel organe et d’un peu d’effronterie, criera incessamment aux passants qu’ils s’égarent, ne leur montrera jamais le droit chemin, et se fera très-bien payer de ses avis, quoique tout son mérite se réduise à répéter ce qu’avaient dit mille autres aussi mal informés que lui. Tel qui a de la souplesse dans l’esprit, du babil et de l’intrigue s’établira dans une espèce de caisse, où il passera la moitié de sa vie à entendre des confidences rarement amusantes, fausses pour la plupart, mais toujours lucratives. L’humeur et la tristesse s’emparent communément de ces réduits. On a pourtant vu quelquefois l’amour travesti s’y mettre en embuscade, surprendre des cœurs novices, et entraîner de jeunes pèlerines dans l’allée des fleurs, sous prétexte de leur montrer à marcher plus commodément dans le sentier des épines. Là, tout est dévoilé : secrets, fortunes,