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tantôt bizarres et tantôt raisonnables, renferment ses volontés. Ces livres sont écrits d’une manière si inégale, qu’il paraît bien qu’il n’a pas été fort attentif sur le choix de ses secrétaires, ou qu’on a souvent abusé de sa confiance. Le premier contient des règlements singuliers, avec une longue suite de prodiges opérés pour leur confirmation ; et le second révoque ces premiers privilèges, en établit de nouveaux qui sont également appuyés sur des merveilles : de là procès entre les privilégiés. Ceux de la nouvelle création se prétendent favorisés exclusivement à ceux de l’ancienne, qu’ils méprisent comme des aveugles, tandis que ceux-ci les maudissent comme des intrus et des usurpateurs. Je te développerai plus à fond par la suite le contenu de ce double code. Revenons au prince.

5. Il habite, dit-on, un séjour lumineux, magnifique et fortuné, dont on a des descriptions aussi différentes entre elles que les imaginations de ceux qui les ont faites. C’est là que nous allons tous. La cour du prince est un rendez-vous général où nous marchons sans cesse ; et l’on dit que nous y serons récompensés ou punis, selon la bonne ou mauvaise conduite que nous aurons tenue sur la route.

6. Nous naissons soldats ; mais rien de plus singulier que la façon dont on nous enrôle : tandis que nous sommes ensevelis dans un sommeil si profond, que personne de nous ne se souvient pas même d’avoir veillé ou dormi, on met à nos côtés deux témoins ; on demande au dormeur s’il veut être enrôlé ; les témoins consentent pour lui, signent son engagement, et le voilà soldat.

7. Dans tout gouvernement militaire, on a institué des signes pour reconnaître ceux qui embrassaient la profession des armes, et les rendre sujets aux châtiments prononcés contre les déserteurs, s’ils l’abandonnaient sans ordre ou sans nécessité. Ainsi chez les Romains on imprimait aux nouveaux enrôlés un caractère qui les attachait au service sous peine de la vie. On eut la même prudence dans le nôtre ; et il fut ordonné dans le premier volume du code, que tous les soldats seraient marqués sur la partie même qui constate la virilité. Mais, ou notre souverain se ravisa, ou le sexe, toujours enclin à nous contester nos avantages, se crut aussi propre à la guerre que nous, et fit ses remontrances ; car cet abus fut réformé dans le second