Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auteur en repos, que bon auteur persécuté. Un livre qui dort, disait sensément un auteur d’ailleurs assez extravagant, ne fait mal à personne.

— Je tâcherai, lui répliquai-je, de faire un bon livre, et d’éviter la persécution.

— Je le souhaite, dit Cléobule. Mais un moyen sûr de satisfaire votre goût, sans irriter personne, ce serait de composer une longue dissertation historique, dogmatique et critique, que personne ne lirait et à laquelle les superstitieux seraient dispensés de répondre. Vous auriez l’honneur de reposer sur le même rayon entre Jean Hus, Socin, Zwingle, Luther et Calvin, et l’on se souviendrait à peine dans un an d’ici que vous avez écrit. Au lieu que si vous le prenez sur le ton de Bayle, de Montaigne, de Voltaire, de Barclay, de Woolston, de Svift, de Montesquieu, vous risquerez sans doute de vivre plus longtemps ; mais que cet avantage vous coûtera cher ! Mon cher Ariste, connaissez-vous bien ceux à qui vous vous jouez ? Il vous sera échappé que l’homoousios[1] est un mot vide de sens, vous serez donc un athée ; mais tout athée est un damné, et tout damné est bon à brûler dans ce monde et dans l’autre. En conséquence de cette induction charitable, vous serez persécuté, poursuivi. Satan est le ministre de la colère de Dieu, et il ne tient jamais à ces gens, disait un de nos amis, qu’ils ne soient les ministres de la fureur de Satan. Les gens du monde s’amuseront des peintures satiriques que vous avez faites de leurs mœurs ; les philosophes riront du ridicule que vous jetez à pleines mains sur leurs opinions ; mais les dévots n’entendent point raillerie, je vous en avertis. Ils prennent tout au sérieux et ils vous pardonneraient plutôt cent raisonnements qu’un bon mot.

— Mais pourriez-vous m’apprendre, mon cher Cléobule, lui

  1. Lorsque chez ses sujets, l’un contre l’autre, armés
    Et sur un dieu fait homme au combat animés
    Tu fis dans une guerre et si triste et si longue
    Périr tant de chrétiens, martyrs d’une diphthongue.

    Boileau, Sat. xii ; variante.

    Il s’agit là du mot ὁμούσιος, de même substance, auquel les ariens substituaient le mot ὁμοιουσιος de substance semblable. Il s’agissait de la substance du fils de Dieu et de celle de son père !