Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/208

Cette page a été validée par deux contributeurs.

eussent plustost gardé la forme d’apprentis à soixante ans que de représenter les docteurs à dix ans, comme ils font. »

XXV.

Qu’est-ce que Dieu ? question qu’on fait aux enfants, et à laquelle les philosophes ont bien de la peine à répondre.

On sait à quel âge un enfant doit apprendre à lire, à chanter, à danser, le latin, la géométrie. Ce n’est qu’en matière de religion qu’on ne consulte point sa portée ; à peine entend-il, qu’on lui demande : Qu’est-ce que Dieu ? C’est dans le même instant, c’est de la même bouche qu’il apprend qu’il y a des esprits follets, des revenants, des loups-garous, et un Dieu. On lui inculque une des plus importantes vérités d’une manière capable de la décrier un jour au tribunal de sa raison. En effet, qu’y aura-t-il de surprenant, si, trouvant à l’âge de vingt ans l’existence de Dieu confondue dans sa tête avec une foule de préjugés ridicules, il vient à la méconnaître et à la traiter ainsi que nos juges traitent un honnête homme qui se trouve engagé par accident dans une troupe de coquins.

XXVI.

On nous parle trop tôt de Dieu : autre défaut ; on n’insiste pas assez sur sa présence. Les hommes ont banni la Divinité d’entre eux ; ils l’ont réléguée dans un sanctuaire ; les murs d’un temple bornent sa vue ; elle n’existe point au delà. Insensés que vous êtes ! détruisez ces enceintes qui rétrécissent vos idées ; élargissez Dieu ; voyez-le partout où il est, ou dites qu’il n’est point. Si j’avais un enfant à dresser, moi, je lui ferais de la Divinité une compagnie si réelle, qu’il lui en coûterait peut-être moins pour devenir athée que pour s’en distraire. Au lieu de lui citer l’exemple d’un autre homme qu’il connaît quelquefois pour plus méchant que lui, je lui dirais brusquement : Dieu t’entend, et tu mens. Les jeunes gens veulent être pris par les sens. Je multiplierais donc autour de lui les signes indicatifs de la présence divine. S’il se faisait, par exemple, un cercle chez moi, j’y marquerais une place à Dieu, et j’accoutumerais