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Outre les difficultés de la matière, il est exposé à toutes celles qui résultent de la fausseté de ses notions. Un C…, un S… auraient été mille fois plus embarrassants pour un Vanini, que tous les Nicole et les Pascal du monde[1].

XIV.

Pascal avait de la droiture ; mais il était peureux et crédule. Élégant écrivain, et raisonneur profond, il eût sans doute éclairé l’univers, si la Providence ne l’eût abandonné à des gens qui sacrifièrent ses talents à leurs haines. Qu’il serait à souhaiter qu’il eût laissé aux théologiens de son temps le soin de vider leurs querelles ; qu’il se fût livré à la recherche de la vérité, sans réserve et sans crainte d’offenser Dieu, en se servant de tout l’esprit qu’il en avait reçu, et surtout qu’il eût refusé pour maîtres des hommes qui n’étaient pas dignes d’être ses disciples ! On pourrait bien lui appliquer ce que l’ingénieux La Mothe disait de La Fontaine : Qu’il fut assez bête pour croire qu’Arnaud, de Sacy et Nicole valaient mieux que lui.

XV.

« Je vous dis qu’il n’y a point de Dieu ; que la création est une chimère ; que l’éternité du monde n’est pas plus incommode que l’éternité d’un esprit ; que, parce que je ne conçois pas comment le mouvement a pu engendrer cet univers, qu’il a si bien la vertu de conserver, il est ridicule de lever cette difficulté par l’existence supposée d’un être que je ne conçois pas davantage ; que, si les merveilles qui brillent dans l’ordre physique décèlent quelque intelligence, les désordres qui règnent dans l’ordre moral anéantissent toute Providence. Je vous dis que, si tout est l’ouvrage d’un Dieu, tout doit être le mieux

  1. On sait que Vanini fut brûlé vif à Toulouse en 1619, convaincu du crime d’athéisme, quoiqu’il ne fût guère qu’un sceptique et qu’il ne s’attaquât qu’au Dieu des dévots. M. X. Rousselot a traduit son Amphithéâtre de l’Éternelle Providence et ses Dialogues (1842, in-12). Il en ressort la preuve qu’il y a eu dans cette condamnation une erreur judiciaire entée sur une haine théologique.

    Les deux lettres C** et S** de cette Pensée désignent très-certainement les deux théistes anglais Cudworth et Shaftesbury avec lesquels Diderot venait de vivre (en esprit) pendant sa traduction de l’Essai sur le mérite et la vertu.