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vertu, elle ne doit exciter aucun désir inquiet. L’industrie, qui fait l’opulence des familles et la puissance des États, est fille de l’intérêt ; mais, si l’intérêt domine dans la créature, son bonheur particulier et le bien public en souffriront. La misère, qui la rongera, vengera continuellement l’injure faite à la société ; car, plus cruel encore à lui-même qu’au genre humain, l’avare est la propre victime de son avarice.

Tout le monde convient que l’avarice et l’avidité sont deux fléaux de la créature. On sait, d’ailleurs, que peu de choses suffisent à l’usage et à la subsistance, et que le nombre des besoins serait court, si l’on permettait à la frugalité de les réduire, et si l’on s’exerçait à la tempérance, à la sobriété et à un train de vie naturel avec la moitié de l’application des soins et de l’industrie qu’on donne à la luxure et à la somptuosité. Mais si la tempérance est avantageuse, si la modération conspire au bonheur, si les fruits en sont doux, comme nous l’avons démontré plus haut, quelle misère n’entraîneront point à leur suite les passions contraires ? quel tourment n’éprouvera point une créature rongée de désirs qui ne connaissent de bornes, ni dans leur essence, ni dans la nature de leur objet ? Car où s’arrêter ? y a-t-il, dans cette immensité de choses qui peuvent exercer la cupidité, un point inaccessible à l’effort et à l’étendue des souhaits ? quelle digue opposer à la manie d’entasser, à la fureur d’accumuler revenus sur revenus et richesses sur richesses ?

De là naît dans les avares cette inquiétude que rien n’apaise ; jamais enrichis par leurs trésors, et toujours appauvris par leurs désirs, ils ne trouvent aucune satisfaction en ce qu’ils possèdent, et sèchent, les yeux attachés sur ce qui leur manque. Mais quel contentement réel pourrait éclore d’un appétit si déréglé ? Être dévoré de la soif d’acquérir, soit honneurs, soit richesses, c’est avarice, c’est ambition ; ce n’est point en jouir. Mais abandonnons ce vice à la haine et aux déclamations des hommes, chez qui avare et misérable sont des mots synonymes, et passons à l’ambition.

Tout retentit dans le monde des désordres de cette passion. En effet, lorsque l’amour de la louange excède une honnête émulation ; quand cet enthousiasme franchit les bornes même de la vanité ; lorsque le désir de se distinguer entre ses égaux