Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus salutaire que celui des affections sociales, on ne pourra nier que, si ces affections sont paresseuses ou léthargiques, la constitution intérieure ne doive souffrir et se déranger. On aura beau faire un art de l’indolence, de l’insensibilité et de l’indifférence ; s’envelopper dans une oisiveté systématique et raisonnée ; les passions n’en auront que plus de facilité pour forcer leur prison, se mettre en pleine liberté, et semer dans l’esprit le désordre, le trouble et les inquiétudes. Privées de tout emploi naturel et honnête, elles se répandront en actions capricieuses, folles, monstrueuses et dénaturées. La balance qui les tempérait sera bientôt détruite, et l’architecture intérieure s’écroulera de fond en comble.

Ce serait avoir des idées bien imparfaites de la méthode que la nature observe dans l’organisation des animaux, que d’imaginer qu’un aussi grand appui, qu’une colonne aussi considérable dans l’édifice intérieur que l’est l’économie des affections, peut être abattue ou ébranlée, sans entraîner l’édifice avec elle, ou le menacer d’une ruine totale.

Ceux qui seront initiés dans cette architecture morale, y remarqueront un ordre, des parties, des liaisons, des proportions, et un édifice tel qu’une passion seule, trop étendue ou trop poussée, affaiblit ou surcharge le reste, et tend à la ruine du tout. C’est ce qui arrive dans le cas de la frénésie et de l’aliénation. L’esprit, trop violemment affecté d’un objet triste ou gai, succombe sous son effort, et sa chute ne prouve que trop bien la nécessité du contre-poids et de la balance dans les affections. Ils distingueront dans les créatures différents ordres de passions, plusieurs espèces d’inclinations, et des penchants variés selon la différence des sexes, des organes et des fonctions de chacune ; ils s’apercevront que, dans chaque système, l’énergie et la diversité des causes répondent toujours exactement à la grandeur et à la diversité des effets à produire, et que la constitution et les forces extérieures déterminent absolument l’économie intérieure des affections. De sorte que partout où l’excès ou la faiblesse des affections, l’indolence ou l’impétuosité des penchants, l’absence des sentiments naturels ou la présence de quelques passions étrangères, caractériseront deux espèces rassemblées et confondues dans le même individu, il doit y avoir imperfection et désordre.