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les maîtres du monde et les mignons de la fortune ne sont pas exempts de cette inspection domestique. Toutes les impostures de la flatterie se réduisent, la plupart du temps, à leur en familiariser l’usage ; et ses faux portraits, à les rappeler à ce qu’ils sont en effet. Ajoutez à cela que plus on a de vanité, et moins on se perd de vue. L’amour-propre est grand contemplateur de lui-même ; mais quand une indifférence parfaite sur ce qu’on peut valoir rendrait paresseux à s’examiner, les feints égards pour autrui et les désirs inquiets et jaloux de réputation exposeraient encore assez souvent notre conduite et notre caractère à nos réflexions. D’une ou d’autre façon, toute créature qui pense est nécessitée par sa nature à souffrir la vue d’elle-même, et à avoir à chaque instant sous ses yeux les images errantes de ses actions, de sa conduite et de son caractère. Ces objets, qui lui sont individuellement attachés, qui la suivent partout, doivent passer et repasser sans cesse dans son esprit : or, si rien n’est plus importun, plus fatigant et plus fâcheux que leur présence à celui qui manque d’affections sociales, rien n’est plus satisfaisant, plus agréable et plus doux pour celui qui les a soigneusement conservées.

Deux choses qui doivent horriblement tourmenter toute créature raisonnable, c’est le sentiment intérieur d’une action injuste ou d’une conduite odieuse à ses semblables, ou le souvenir d’une action extravagante, ou d’une conduite préjudiciable à ses intérêts et à son bonheur.

De ces tourments, c’est le premier qu’on appelle proprement, en morale ou théologie, conscience. Craindre un Dieu, ce n’est pas avoir pour cela de la Conscience. Pour s’effrayer des malins esprits, des sortilèges, des enchantements, des possessions, des conjurations et de tous les maux qu’une nature injuste, méchante et diabolique peut infliger, ce n’est pas en être plus consciencieux. Craindre un Dieu, sans être ni se sentir coupable de quelque action digne de blâme et de punition, c’est l’accuser d’injustice, de méchanceté, de caprice[1], et par conséquent, c’est

  1. Cette proposition ne contredit point l’omnis homo mendax ; elle ne signifie autre chose que s’il y avait quelque homme assez juste pour n’avoir aucun reproche à se faire, ses frayeurs seraient injurieuses à la Divinité. Quoi qu’il en soit, je demanderais volontiers si les inégalités dans la dévotion peuvent s’accorder avec des notions constantes de la Divinité. Si votre Dieu ne change point, pourquoi