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mauvaise humeur et le dégoût ? Et ces vices ne deviendront-ils pas habituels, si l’on n’écarte leur influence, ou si l’on n’arrête leur progrès dans le tempérament ? Or l’exercice des affections sociales est l’émétique du dégoût ; c’est le seul contre-poison de la mauvaise humeur. Car nous avons remarqué que, lorsque la créature prend son parti et se résout à guérir de ces maladies de tempérament, elle a recours aux plaisirs de la société ; elle se prête au commerce de ses semblables, et ne trouve de soulagement à sa tristesse et à ses aigreurs que dans les distractions et les amusements de la compagnie.

Dans ces dispositions fâcheuses, dira-t-on peut-être, la religion est d’un puissant secours. Sans doute ; mais quelle espèce de religion ? Si sa nature est consolante et bénigne ; si la dévotion qu’elle inspire est douce, tranquille et gaie ; c’est une affection naturelle qui ne peut être que salutaire ; mais les ministres, en l’altérant, la rendent-ils sombre et farouche ; les craintes et l’effroi l’accompagnent-ils ; combat-elle la fermeté, le courage et la liberté de l’esprit ; c’est entre leurs mains un dangereux topique ; et l’on remarque à la longue que ce précieux remède, mal à propos administré, est pire que le mal. La considération effrayante de l’étendue de nos devoirs, un examen austère des mortifications qui nous sont prescrites, et la vue des gouffres ouverts pour les infracteurs de la loi ne sont pas toujours et en tout temps, ni pour toutes sortes de personnes indistinctement, des objets propres à calmer les agitations de l’esprit[1]. Le tempérament ne peut qu’empirer, et ses aigreurs fermenter et s’accroître par la noirceur de ces réflexions. Si, par avis, par crainte, ou par besoin, la victime de ces idées mélancoliques cherche quelque diversion à leur obsession ; si elle affecte le repos et la joie, qu’importe au fond ? Tant qu’elle ne se désistera point de sa pratique, son cœur sera toujours le même ; elle n’aura que changé de grimace. Le tigre est enchaîné pour un

  1. Toute cette doctrine répond exactement à la conduite de nos directeur éclairés, qui savent parfaitement, selon les tempéraments et les dispositions diverses des fidèles, leur présenter un Dieu vengeur ou miséricordieux. Faut-il effrayer un scélérat, ils ouvrent sous ses pieds les gouffres infernaux. Est-il question de rassurer une âme timorée, c’est un Dieu mourant pour son salut, qu’ils exposent à ses yeux. Une conduite opposée acheminerait l’un à l’impénitence et l’autre à la folie. (Diderot.)