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Ceux qui ont fait quelque progrès dans les sciences, et à qui les premiers principes des mathématiques ne sont pas inconnus, assurent que l’esprit trouve dans ces vérités, quoique purement spéculatives, une sorte de volupté supérieure à celle des sens : or on a beau creuser la nature de ce plaisir de contemplation, on n’y découvre pas le moindre rapport avec les intérêts particuliers de la créature. Le bien de son système individuel est ici pour zéro. L’admiration et la joie qu’elle ressent tombent sur des choses extérieures et étrangères au mathématicien ; et quoique le sentiment des premiers plaisirs qu’il éprouve, et qui lui rendent habituelle l’étude de ces sciences abstraites et pénibles puisse devenir en lui une raison d’intérêt, ces premières voluptés, ces satisfactions originelles qui l’ont déterminé à ce genre d’occupation ne peuvent avoir d’autre cause que l’amour de la vérité, la beauté de l’ordre et le charme des proportions ; et cette passion, considérée dans ce point de vue, est du genre des affections naturelles ; car, puisque son objet n’est point dans l’étendue du système individuel de la créature, il faut, ou la traiter d’inutile, de superflue, et conséquemment d’inclination dénaturée ; ou, la prenant pour ce qu’elle est, l’approuver comme une délectation raisonnable engendrée par la contemplation des nombres, de l’harmonie, des proportions et des accords qui sont observés dans la constitution des êtres qui fixent l’ordre des choses et qui soutiennent l’univers.

Or, si ce plaisir de contemplation est si grand que les voluptés corporelles n’ont rien qui l’égale, quel sera donc celui qui naît de l’exercice de la vertu qui suit une action héroïque ? Car c’est alors que, pour combler le bonheur de la créature, une flatteuse approbation de l’esprit se réunit à des mouvements du cœur délicieux et presque divins. En effet, quel plus beau sujet de réflexion dans l’univers, quelle plus ravissante matière à contempler qu’une grande, noble et vertueuse action ! Est-il quelque chose dont la connaissance intérieure et la mémoire puissent causer une satisfaction plus pure, plus douce, plus complète et plus durable ?

Dans cette passion qui rapproche les sexes, si la tendresse du cœur se mêle à l’ardeur des sens, si l’amour de la personne accompagne celui du plaisir, quel surcroît de délectation ! aussi quelle différence d’énergie entre le sentiment et l’appétit ! Le