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diversité de caractères que dans les contrées éclairées ? Le vice et la vertu morale ne les différencient-ils pas entre eux ? Tandis que les uns sont orgueilleux, durs et cruels, et conséquemment enclins à approuver les actes violents et tyranniques, d’autres sont naturellement affables, doux, modestes, généreux, et dès lors amis des affections paisibles et sociales.

Pour déterminer maintenant ce que la connaissance d’un Dieu opère sur les hommes, il faut savoir par quels motifs et sur quel fondement ils lui portent leurs hommages et se conforment à ses ordres. C’est ou relativement à sa toute-puissance, et dans la supposition qu’ils en ont des biens à espérer et des maux à craindre ; ou relativement à son excellence, et dans la pensée qu’imiter sa conduite, c’est le dernier degré de la perfection.

En premier lieu. Si le Dieu qu’on adore n’est qu’un être puissant sur la créature, qui ne lui porte son hommage que par le seul motif d’une crainte servile ou d’une espérance mercenaire ; si les récompenses qu’elle attend ou les châtiments qu’elle redoute la contraignent à faire le bien qu’elle hait ou à s’éloigner du mal qu’elle affectionne, nous avons démontré qu’il n’y avait en elle ni vertu ni bonté. Cet adorateur servile, avec une conduite irréprochable devant les hommes, ne mérite non plus devant Dieu, que s’il avait suivi sans frayeur la perversité de ses affections. Il n’y a non plus de piété, de droiture, de sainteté dans une créature ainsi réformée, que d’innocence et de sobriété dans un singe sous le fouet, que de douceur et de docilité dans un tigre enchaîné. Car, quelles que soient les actions de ces animaux ou de l’homme à leur place, tant que l’affection sera la même, que le cœur sera rebelle, que la crainte dominera et inclinera la volonté ; l’obéissance et tout ce que la frayeur produira, sera bas et servile. Plus prompte sera l’obéissance, plus profonde la soumission ; plus il y aura de bassesse et de lâcheté, quel que soit leur objet : que le maître soit mauvais ou bon, qu’importe, si l’esclave est toujours le même ? Je dis plus : si l’esclave n’obéit que par une crainte hypocrite à un maître plein de bonté, sa nature n’en est que plus méchante, et son service que plus vil. Cette disposition habituelle décèle un attachement souverain à ses propres intérêts, et une entière dépravation dans le caractère.