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L MÉTHODE PARTICLLIÈRE


— Nos succès croissent avec lui : ses jours ne sont plus comptés que par les victoires d'un père triomphant : chaque saison vient mettre au pied de sou berceau royal des triomphes et des dépouilles : les merveilles se multiplient ; l'abondance embellit le dedans du royaume, tandis que la valeur en recule les frontières : la pompe des maisons royales répond à la grandeur du roi : de superbes édifices sortent en un instant, comme par enchantement, du sein de la terre : l'ouvrage de plusieurs siècles devient l'ouvrage de quelques mois : la stérilité des lieux se tourne en ornement ; et le roi, de retour de ses campagnes après avoir vaincu ses ennemis, vient se délasser chez lui à vaincre encore la nature. Ce sont les bienfaits de Dieu que nous rappelons ; et, si nous les eussions toujours regardés comme tels, peut-être en jouirions-nous encore.

— Cependant sortait de l'enfance l'héritier de tant de grandeur : un naturel heureux commençait à se montrer : les qualités héroïques du roi, la piété de la reine, formaient déjà ce mélange de douceur et de majesté, qui fit toujours son caractère, et ces belles espérances qui n'attendaient que le secours des maîtres.

— Que si vous me demandez comment tant de factions opposées, et tant de sectes incompatibles qui se devaient apparemment détruire les unes les autres, ont pu si opiniâtrement conspirer ensemble contre le trône royal, vous l'allez apprendre.

— Un homme s'est rencontré d'une profondeur d'esprit incroyable, hypocrite raffiné autant qu'habile politique ; capable de tout entreprendre et de tout cacher ; également actif et infatigable dans la paix et dans la guerre ; qui ne laissait rien à la fortune de ce qu'il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance ; mais, au reste, si vigilant et si prêt à tout, qu'il n'a jamais manqué les occasions qu'elle lui a présentées ; enfin un de ces esprits remuants et audacieux, qui semblent être nés pour changer la face du monde.

— Que le sort de tels esprits est hasardeux, et qu'il en paraît dans l'histoire à qui leur audace a été funeste ! Mais aussi que ne font-ils pas quand il plait à Dieu de s'en servir ! Il fut donné à celui-ci de tromper les peuples, et de prévaloir contre les rois.... Quand une fois on a trouvé le moyen de prendre la multitude par l'appât de la liberté, elle suit en aveugle, pourvu qu'elle en entende seulement le nom.... Ce subtil conducteur, en combattant, en dogmatisant, en mêlant mille personnages divers, en faisant le docteur et le prophète, aussi bien que le soldat et le capitaine, vit qu'il avait tellement enchanté le monde, qu'il était regardé de toute l'armée comme un chef envoyé de Dieu pour la protection de l'indépendance ; il commença à s'apercevoir qu'il pouvait encore les pousser plus loin. Je ne vous raconterai pas la suite trop fortunée de ses entreprises, ni ses fameuses victoires, dont la vertu était indignée, ni cette longue tranquillité qui a étonné l'univers.


ART. VIII. — Emploi de la ponctuation dans la versification (*).


Si la ponctuation divise les pensées dans la prose, sert à l'élégance d'un discours, rassure l'intelligence ; si son emploi dans cette partie contribue à clarifier le langage, et à attacher l'auditeur sur le débit des paroles ; c'est surtout dans la versification qu'elle offre tonte son utilité. Indépendamment de l'attention qu'elle excite, et de la marche régulière qu'elle ordonne dans les coupures, la ponctuation, et particulièrement la virgule et le point-virgule, embellissent les productions vigoureuses de poëte, aident à la mesure et à la cadence du vers, enrichissent les principes, la division et l'ensemble de cette manière ingénieuse de parler français. Nous ne reviendrons point sur les règles et les développements indiqués pour la prose ; ce sont les mêmes pour la versification : cependant il est de toute nécessité d'y mettre plus de régularité ; la netteté et la précision, principaux caractères des vers, sont les points les plus essentiels à examiner. Le plus petit repos ne doit pas y être oublié ; la distinction des pensées suivies doit y être présentée avec rigueur. La manière de débiter les vers acquiert de la consistance, et les défauts que l'on croit y apercevoir disparaissent sitôt qu'on a su ménager les repos que comporte ce genre de composition. Les tournures, les circonlocutions, les diversions qui y sont employées, s'y trouvant plus fréquemment que dans la prose, il est important d'en bien régulariser les sens et demi-sens : il faut que la ponctuation y devienne caractérisée comme les pensées du poëte ; il faut qu'elle suive en tout les jeux de sa verve, et qu'en facilitant celui qui en fait lecture, il puisse sentir jusqu'à la plus petite beauté que le poëte y a introduite.

Nous citerons seulement quelques exemples, qui donneront une idée de ces difficultés par rapport aux inversions, et de cette précision par rapport à la cadence et à la mesure du vers.


L'astre des nuits se lève. A sa pâle lumière
Tout change, se confond dans la nature entière ;
Et mon œil, entouré de prestiges divers,
Voit dans l'ombre s'étendre nn magique univers.



La Superstition, qu'exalte le silence,
Sur le mortel crédule à minuit se balance.


Le Scandinave errant, au sein des bois profonds,
Des Esprits lumineux, des Sylphes vagabonds,
Rois au sceptre de fleurs, au changeant diadème,
Voit se multiplier les prestiges qu'il aime.


Dans la coupe d'un lis tout le jour enfermés,
Et, le soir, s'échappant par groupes embaumés,
Aux rayons de la lune ils viennent en cadence
Sur l'émail des gazons entrelacer leur danse ;
Et de leurs blonds cheveux, dégagés de liens,
Les Zéphirs font rouler les flots aériens.


Que dis-je ? ah des tombeaux franchissant la barrière,
Si les morts, en effet, rendus à la lumière,
Reviennent quelquefois errer autour de nous,
O ma mère ! ô ma sœur ! spectres charmants et doux,
A cette heure de paix quand ma voix vous appelle,
Ponrquoi reposez-vous dans la nuit éternelle ?


Un bruit lointain les frappe.... Ils s'arment.... Ciel vengeur !
Sous leurs couteaux de mort tombe le voyageur....


Meurtris ton sein d'albâtre, ô vierge infortunée !
Celui que sur ta couche, aux plaisirs destinée,
Appellent ton amour et tes vœux superflus,
Pâle, insensible, froid, déjà ne t'entend plus.


La jeune amante alors, par l'espoir embellie,
Respire les langueurs de la mélancolie ;
On s’empresse autour d’elle, et l'art ingénieux
Se plait a la parer de cent dons précieux.


Étrangère à l’effroi qu'un tel séjour inspire,
Elle marche au hasard, lorsque du bois épais
Un hurlement lointain trouble l'affreuse paix :
Il redouble.... il s'approche.... O surprise soudaine !
Azémire, est-ce Edvin que le ciel te ramène ?
Regarde, reconnais ce Médor tant chéri,
Compagnon de son maître, et par ses mains nourri....


De son dernier malheur osant douter encor,
A travers la forêt, sur les pas de Médor,
Azémire s'élance : enfin Médor s'arrête.
Azémire ! ! ! ! la foudre éclate sur sa tête.


Quel objet ! son Edvin, meurtri, défiguré !...
Elle attache sur lui son œil désespéré,
Horriblement sourit, et de ses mains tremblantes
Parcourt, semble compter les blessures sanglantes.


Qu'il est puissant cet Être, architecte des mondes,
Qui, peuplant du chaos les ténèbres fécondes,
Fit éclore le jour, fit bouillonner les mers
Alluma le soleil, dessina l'univers ;
Et de ces astres d'or, roulant dans leur carrière,
Prodigua sous ses pieds la brillante poussière !
Où commence, où finit le travail de ses mains ?
Vers quels lieux inconnus des fragiles humains,
De la création accomplissant l'ouvrage,
A t-il dit aux esprits qui lui rendent hommage
« Enfants du ciel, ici s'arrêtent mes travaux ;
« Je n'enfanterai plus de prodiges nouveaux ? »


Sur un trône flottant où l'or pur étincelle,
Il repose entouré de sa garde fidèle ;
Dans sa main resplendit le glaive lumineux
Vingt soleils à ses pieds rassemblent tous leurs feux ;
Ses habits sont semés d'étoiles flamboyantes,
Et l'éther réfléchit leurs clartés ondoyantes
Mais le fatal arrêt est déjà prononcé ;
De la création le prodige a cessé.


Les montagnes, les tours, les cités, leurs remparts,
Dans les flots irrités croulent de toutes parts ;
Les cieux sont des volcans ; mille éclairs en jaillissent ;
Mille foudres rivaux se croisent et rugissent ;
Tous les enfants de l'air, turbulents, vagabonds,
S'échappent à la fois de leurs antres profonds,
Se heurtent en courroux, et, d'une aile hardie,
Aux plus lointains climats vont porter l'incendie.