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DE PONCTUATION


dessein de démolir ; et vous n’avez tremblé que sous des projets frivoles d’un vainqueur en idée, qui comptait le nombre de nos soldats, et qui ne, songeait pas à la sagesse de leur capitaine.

— Mânes illustres (de M. de Colbert), mânes glorieux ; si cette modestie qui vous faisait refuser les louanges, a jusqu’ici retenu les Muses dans un profond silence autour de votre tombeau, ne craignez point qu’elles manquent de gratitude envers leur généreux Mécène ? Elles en garderont toujours le précieux souvenir : mille et mille éloges la rendront recommandable à la postérité.

—Monuments éternels de la magnificence de mon prince, ne murmurez point contre cette commune erreur des hommes. Il viendra un temps que de tous les coins du monde il partira des curieux pour vous admirer. Vous serez même, à votre tour, l’objet de l’idolâtrie.

-Pieux prélat, si dans le sein d’Abrabam (car, ô mon Dieu ! sans sonder ici la profondeur de vos conseils, auriez-vous pu fermer votre sein éternel à celui qui vous ouvrit toujours le sien en la personne de vos serviteurs affligés ?) ; si, dis-je, dans le sein d’Abraham, âme charitable, vous jouissez déjà du fruit immortel de tant d’œuvres de vie ; si vous moissonnez les bénédictions que vous avez semées ici bas, jetez sur les tendres gémissements de cette triste Sion quelques regards favorables : soyez toujours son époux invisible ; que les liens sacrés qui vous ont uni avec elle ne périssent jamais ; choisissez-lui vous-même dans les trésors éternels un pontife fidèle, et que les soins de sa gloire aillent encore vous toucher et troubler presque votre repos dans le sein de la félicité !

— Princes qui m’écoutez, précieux ornements de la maison royale, glorieux rejetons des grands Condés, dont la valeur se promet que vous lui rendrez la valeur et les vertus, et dont un d’entre vous a déjà montré l’âme tout entière et les inclinations héroïques ! connaissez, princes, où se termine la gloire qui vous environne ; voyez si elle dure ; voyez si elle se soutient. Ce temple superbe n’est, pour ainsi dire, pavé que de ses débris : on ne marche ici que sur des sceptres brisés, sur des couronnes flétries, sur des dieux de la terre humiliés,. obscurcis., dénués de tout, et sans autre relief devant Dieu et devant les hommes que celui des bonnes œuvres.

-Pour donner le dernier trait au tableau de l’inconstance des créatures, et régler le prix qu’on doit donner à toutes les pompes du siècle, il n’y eut jamais un juge plus propre à prononcer ce fameux arrêt que le grand homme que nous pleurons. Personne n’a vu de plus près le comble des grandeurs humaines que ce grand chancelier du plus grand royaume du monde : personne ne les a examinées avec des yeux plus éclairés que ce philosophe chrétien ; personne ne les a vues plus long-temps que le plus ancien officier de la couronne. —

— Parlez donc sur ce grand sujet, grand et illustre mort ; faites-vous un nouveau tribunal de votre tombeau ; et, portant votre autorité plus loin après votre mort, qu’elle n’a été pendant votre vie, prononcez dans cette illustre assemblée, non plus sur les différends des particuliers, ni sur les affaires publiques de cet état, mais sur le sort général et la condition universelle de tout le genre humain. Dites-nous ce que vous a paru au moment de votre mort cette belle vie, qui réunit un si grand poids de gloire au poids de vos années ?

Que vous a paru l’éclat de tant d’actions héroïques, lorsque la mort vous a mis dans ce point de vue d’où se découvre la véritable proportion de toutes les choses, qu’on ne voit ailleurs que dans un beau jour si propre à l’illusion ? Quoi, Messieurs, ce grand homme ne peut répondre, ce premier oracle de la justice est mnet, et la mort détruit tellement toutes choses, qu’elle ne laisse pas même une langue à une bouche pour prononcer que tout n’est rien. Imprudent que je suis ! le morne silence qui règne autour de ce tombeau, ne fait-il pas la fonction de sa langue et de sa voix ? Ne nous dit-il pas que la longue carrière d’une si longue vie n’a paru à ce grand homme, au moment de la mort, que comme le jour qui vient de passer ? Hélas 1 quand on est arrivé au terme, les différentes longueurs de la carrière qui y conduisent se distinguent aussi peu que celles des lignes, quand elles sont confondues dans leur centre. La mort unit tout, égale tout, parce qu’elle réduit tout dans une espèce de néant qui est indivisible, et qui ne se mesure point par les degrés.

D. Expliquez-moi ce que vous entendez par comparaison y

R. La comparaison est une figure par laquelle, pour élever l’âme, on met en parallèle un temps heureux avec celui dans lequel on vit ; pour rendre hommage au chef d’un état, ou à un supérieur quelconque : elle sert aussi à rappeler diverses circonstances de sagesse et de vertu afin de l’inspirer aux autres, etc., etc.

— Comme autrefois, c’était assez, pour animer les braves de Sparte, de leur montrer des trophées d’armes, des inscriptions et des portraits de leurs ancêtres, ou de leur raconter en peu de mots les guerres et les victoires de leur république ; j’ai cru que, pour réveiller en vous, Monsieur,


l’ardeur que vous avez toujours eue pour les lettres, je n’avais qu’à vous faire le plan de nos assemblées, et à rappeler, en passant, dans votre mémoire les travaux et la gloire de vos confrères.

Ça été dans notre siècle un grand spectacle, de voir, dans le même temps et dans les mêmes campagnes, deux hommes que la voix commune de toute l’Europe égalait aux plus grands capitaines des siècles passés.

Il ne faut pas manquer d’observer avec attention la ponctuation de l’exemple suivant. On verra avec combien de régularité elle y est ménagée, et quelle ressource elle présente pour l’intelligence des différents sens qui y sont renfermés.

— Cependant vit-on jamais en deux hommes les mêmes vertus avec des caractères si divers, pour ne pas dire si contraires ? L’un paraît agir par des réflexions profondes, et l’autre par de soudaines illuminations : celui-ci, par conséquent plus vif, mais sans que son feu eût rien de précipité celui-là d’un air plus froid, sans jamais rien avoir de lent ; plus hardi à faire qu’à parler ; résolu et déterminé au-dedans, lors même qu’il paraissait embarrassé au dehors. L’un, dès qu’il parut dans nos armées, donne une haute idée de sa valeur, et fait attendre quelque chose d’extraordinaire ; mais toutefois s’avance par ordre, et vient comme par degrés aux prodiges qui ont fini le cours de sa vie : l’autre, comme un homme inspiré, dès sa première bataille, s’égale aux maîtres les plus consommés. L’un, par de vifs et de continuels efforts, emporte l’admiration du genre humain, et fait taire l’envie : l’autre jette d’abord une si vive lumière, qu’elle n’osait l’attaquer. L’un enfin, par la profondeur de son génie et les incroyables ressources de son courage, s’élève au-dessus des plus grands périls, sait même profiter de toutes les infidélités de la fortune : l’autre, et par l’avantage d’une si haute naissance, et par ces grandes pensées que le ciel envoie, et par une espèce d’instinct admirable dont les hommes ne connaissent pas le secret, semble né pour entrainer la fortune dans ses desseins, et forcer les destinées. Et enfin, l’on remarque toujours dans ces deux hommes de grands caractères, mais divers ; l’un, emporte d’un coup soudain, meurt pour son pays, comme un Judas Machabée ; l’armée le pleure comme son père ; et la cour et tout le peuple gémit ; sa piété est louée comme son courage, et sa mémoire ne se flétrit point par le temps : l’autre, élevé par les armes au comble de la gloire comme un David, comme lui meurt dans son lit, en publiant les louanges de Dieu et instruisant sa famille, et laisse tous les cœurs remplis tant de l’éclat de sa vie que de la douceur de sa mort.

— Il n’y a rien de si aimable que l’enfance des princes destinés à l’empire, lorsqu’ils donnent des marques d’un naturel heureux. On voit en eux des rayons de la majesté de Dieu, tempérés des ombres de la faiblesse des hommes. Ce sont des soleils, dans leur orient, qui réjouissent les yeux, et qui ne les éblouissent pas encore ; chacun cherche sur leur visage des présages de son bonheur à venir, et on croit voir dans leurs moindres actions des fondements des espérances publiques.

Cette variation de phrases, où les principales figures de rhétorique sont employées, doit offrir beaucoup de ressources, pour la ponctuation, au jeune élève.

Je crois qu’il n’est pas inutile de donner ici quelques exemples des diverses pensées qui constituent souvent le style d’un orateur : en les prenant dans leurs qualités intérieures, on en sentira mieux la valeur, et on appréciera mieux encore le placement des signes, par le renouvellement des variations que comporte notre langué dans la contexture des phrases dont le caractère particulier va être distingué.

Ponctuation dans les pensées directes.

— La mort n’a égard, ni à la santé, ni à l’âge, ni à la fortune, ni au mérite, ni au mérite, ni à l’amitié. Sourde aux vœux et aux prières, elle n’entend que la voix du Seigneur ; et, dès qu’il lui a commandé de frapper son coup, elle exécute l’arrêt fatal prononcé depuis long-temps contre la race des hommes.

— À quoi me suis-je occupé jusqu’ici ? Pourquoi me suis-je arrêté si long-temps à admirer dans l’antiquité des exemples de vertu que je croyais sans égales ? Notre âge les a toutes ramassées plus grandes et plus pures dans la personne du monarque à qui le ciel nous a soumis pour notre bonheur.

— Ce silence profond que gardent autour de moi tant d’hommes illustres, accoutumés à se faire admirer lorsqu’ils parlent ; ce concours extraordinaire de toutes sortes de personnes à qui vous ouvrez aujourd’hui les portes de cet auguste tribunal des Muses ; tous ces regards attachés et confondus sur moi, qui présentent aux miens autant de juges que j’ai d’auditeurs ; enfin la dignité de ces lieux, et plus encore la majesté de celui qui, quoique absent, les remplit toujours : quel spectacle pour un homme qui connaît sa faiblesse !