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10 PRÉFACE.

entrent de plus en plus dans le domaine de la science ; on remarque, disons-nous, qu’une foule de termes techniques ont passé de la langue plus riche des idéologues, des industriels, des artistes, des savans, dans le langage vulgaire. C’est sur ces faits, que nous indique la philosophie de l’histoire moderne, que doivent s’appuyer les lexicographes.

Boiste a compris le premier que notre Vocabulaire était encore à composer ; que c’était la nation qui faisait la langue, et que l’Académie devait la recevoir toute faite.

Gattel a suivi le même système d’indépendance, et Laveaux a senti la nécessité de perfectionner le Dictionnaire qu’il avait déjà publié.

Cependant aucun travail ne nous semble encore avoir répondu d’une manière satisfaisante aux besoins de notre temps : il est à regretter que M. Charles Nodier, dont la science éclaire si bien l’érudition, et dont l’imagination embellit à son tour l’érudition et la science, n’ait pas entrepris de donner à la France un Dictionnaire : ses fragmens philologiques sur les ouvrages de Boiste et de Gattel, ses articles sur la typographie, chefs-d’œuvre de goût et de délicatesse, donnent la preuve que personne mieux que lui n’était digne de recueillir les titres épars de notre langue.

L’auteur de cet ouvrage a eu cette haute témérité : voué depuis sa jeunesse à l’étude de la philologie, il a sacrifié à cette étude ses veilles et ses loisirs, et ses forces se sont déjà essayées dans un Supplément au Dictionnaire de l’Académie, un Traité de Ponctuation et d’autres écrits sur la langue française[1], avec la pensée que son zèle et sa patience pourraient suppléer à d’autres capacités littéraires. C’est ainsi qu’il a consacré vingt années à fonder, à l’aide de recherches fastidieuses et pénibles, un édifice en rapport avec nos progrès et nos mœurs actuels. Il a consulté les hommes et les livres. De savans professeurs, des grammairiens distingués ont bien voulu le seconder… Il doit surtout des remerciemens à M. L.-N. Amoudru, de Dôle.

Il ne faut point regarder un Dictionnaire comme une simple compilation, si l’on réfléchit que, pour être d’une utilité générale, il faut qu’il soit, pour ainsi dire, l’abrégé des connaissances de l’époque, que l’acception des mots peut changer, qu’ils ont leur histoire politique et morale, et que leurs définitions sont loin d’avoir toutes été conçues d’une manière exacte et précise.

L’auteur a dû se familiariser avec la langue des Lavoisier et des Haüy, des Cuvier et des Lacépède, des Portal et des Bichat, des Lagrange et des Laplace, etc. ; il a dû suivre pas à pas les découvertes, noter la langue à mesure qu’elle se faisait ou se modifiait. Il a puisé dans l’histoire, les voyages, et les travaux des archéologues, les noms des institutions politiques et religieuses des divers peuples : dans les mémoires particuliers, une foule d’expressions de cour ; — dans les ouvrages techniques, tous les termes des arts et métiers si peu considérés jusqu’à présent ; — enfin, dans les traités des sciences diverses, tous les mots qui avaient échappé aux autres lexicographes, et qu’une † fera reconnaître au lecteur[2].

Pour la naturalisation des mots étrangers, l’auteur n’a pas cru devoir se montrer sévère : notre langue est celle des cours et de la diplomatie, espèce d’idiome universel ; pour lui conserver et mieux



  1. Supplément au Dictionnaire de l’Académie, imprimé chez MM. Masson et fils en 1835, en un volume in-4o, mêmes caractère et dimensions que celui de l’Académie. Nous ferons remarquer ici que depuis l’apparition de cet ouvrage, beaucoup d’autres mots se sont introduit dans notre langue ; ils se trouvent tous insérés dans celui-ci.
  2. Quoique les † précèdent un grand nombre de mots puisés dans la mythologie, comme ceux de certaines divinités, etc., ces mots ne sont point compris dans le nombre dix mille dont il est fait mention au frontispice de ce Dictionnaire.