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à l’époque des Lagides expriment l’idée que les morts ont besoin du même breuvage pour étancher leur soif^^1. Nous reviendrons plus loin sur les périodes ptolémaïque et romaine.

Ce n’est pas que le vin manquât en Égypte^^2 ; il y avait des vignes dans certains districts, mais trop peu pour fournir à toute la population ; le vin, à cause de son prix, n’était sans doute accessible qu’aux familles aisées ; les autres se contentaient de la boisson dont Osiris, disait-on ’, dans son voyage en Europe, avait enseigné aux hommes la fabrication par la mouture de l’orge ’, qui entrait ensuite en fermentation ’. p]t, bien qu’on en vantai souvent la saveur et le montant, le peuple^ seul l’appréciait ; le fait est attesté en tout cas à partir de l’époque grecque’ ; on ne parlait alors du vin d’orge qu’avec dédain^^7. Diodore de Sicile^^8, il est vrai, dit que le zythos n’est pas très inférieur au vin ; il faut entendre probablement : pas très inférieur en force, car on mêlait de l’eau au vin, tandis qu’en général on buvait la bière telle quelle, sans la diluer ’. Pour s’exciter à en boire, on absorbait d’abord des lupins, ou du raifort’", comme les Allemands aujourd’hui.

Il nous est parvenu plusieurs recettes pour la confection de la bière égyptienne : une juive ", une syriaque *° ; les ingrédients qu’elles indiquent, le carthame ou safran bdtard, plante tinctoriale, la rue, plante pharmaceutique, sont étranges, et leurs proportions (1/3 de sel) sont suspectes ; pourtant Pline " aussi mentionne le mtilsum rutatum. Une troisième recette nous a été conservée en plusieurs manuscrits, dont l’un " attribue le texte à un des plus anciens alchimistes grecs, Zosime de Panopolis, médecin en Thébaïde au m’ siècle avant notre ère. Ce texte recommande de faire choix d’une orge de belle qualité, de la tenir mouillée pendant un jour, afin qu’elle gonfle, à l’abri du vent pour éviter les variations de température ; de la placer ensuite, arrosée encore, dans un vase profond et poreux ; puis de la faire sécher jusqu’à ce qu’il se produise une sorte de bourre ou de matière floconneuse, qui achèvera au soleil de se développer et prendra un goût amer. L’orge germée, ou malt, ainsi obtenue, le moment est venu de la moudre, et on en fait une sorte de pain en y ajoutant du levain comme au pain ordinaire ; on le soumet d’abord à un grillage superficiel au feu ; on le mêle à de l’eau, qu’on filtre ensuite à travers une passoire ou un tamis fin. Suivant un autre procédé, le malt est précipité dans une cuve avec de l’eau et soumis un moment à l’ébullition^^15.

Il y a doute sur le sens exact de certains termes, on reconnaît cependant quelque analogie avec nos méthodes de germination et de maltage ; notre « touraillage » est remplacé par l’exposition au soleil ; le criblage tient lieu du « poissage » moderne, servant à

I G. Sieindorfr, Deutsche flundschav, 1893, Ul, p. 260. — 2 llérodolc (H, 77, 4i fait erreur sur ce poinl. — 3 Diod. Sic. I, iO, 4 ; 3i, 10 ; cf. IV, S, 5, même récit rapporlé à Dionysos. — » Atbea. X, *18 e, W7 c ; Fraijm. hitt. gr. C. Mûller. I, p. 20, n» 290 ; EusUlh. ad /i. XXII, 2S3. — SThcoplir. Caui. plant. VI, 11, 2. — 6 Dio Acadcm. ap. Alhen. I, 34 b ; Slrab. XVII, 1, 14, p. 799 C. — 7 Aesch. Sappl. 953. — » Loe. cit. noie 3.-9 Plin. Xal. h. XIV, 149. — 10 Dt Pelusiaci prorilet pocula zylhi (Columell. X, 114-1 16). — Il Dans leTalmnd ; et.]. H. Rondi. ^eilsdir. /-ùr àgypt. Sprache, XXXUI (1895), p. 6264. — ’2Cf. R. f’ayne-Smilb, Thesaur. syriac. Uionii, 1879, I, col. 1114. — <3A’a/. hiâl. XIX, 45. — H Voir la bibliographie de ccnvisiA. — ’â C(. Aelius, III, 2, 29 ; Hesjch.l. o. Jivr... — If’G. Buschan, dans Ausland, 1891, p. 612. — 17 Slrab. III, 3, 7, p. 155 C. — 18 Flor. Epil. I. 31 ill, 18, 12, ; Gros. V, 7, 13. — 19 Rapprocher laie dAnglelerre. — î" flin. A’a(. h. XXII, 164 ; Gœli, Glott. lat.

éloigner les poussières qui altéreraient le moût. Le brassage paraît extrêmement simplifié ; néanmoins l’on entrevoit qu’il y en avait déjà de deux sortes comme aujourd’hui, par infusion ou par décoction. Il n’est pas question du « dégermage », destiné à éliminer les radicelles. Somme toute, on a l’impression d’une technique assez primitive ; l’emploi du houblon, pour aromatiser la bière et lui donner de l’amertume, procède d’une invention slave, qui ne pénétra que tardivement dans les autres pays"’. Depuis les temps qui nous occupent, d’énormes progrès ont dû être réalisés, beaucoup plus sensibles que ceux de la vinification. On comprendrait ainsi que la bière ait toujours passé, dans l’antiquité, pour une boisson d’ordre inférieur, à bon marché, et qui rendait des services là où le vin faisait défaut.

On est étonné d’apprendre qu’elle était très commune dans des pays méridionaux, où sa consommation se réduit à rien actuellement : ainsi en Lusitanie (Portugal )^^17 ; chez les Numantins, qui fabriquaient au temps de Scipion^^18 une boisson dite caelia^^19 ou cerea^^20, et en général chez les Ibères, qui avaient inventé un moyen de la conserver par l’addition d’un mollis sucus énigmatique^^21. Un roi de ces contrées, pour imiter le luxe du prince homérique des Phéaciens, aurait fait disposer au milieu de son palais des vases d’or et d’argent remplis de vin d’orge^^22. La boisson fermentée signalée chez les Scythes septentrionaux est évidemment le même breuvage, auquel on ajoutait des sorbes^^23.

L’orge, en effet, n’était pas seule employée : on se servait aussi du froment^’, par exemple pour brasser la sabaia^^, boisson des pauvres en Illyrie et Pannonie. Le nom peut être rapproché de celui du dieu phrygien Sabazios, qui en dérive peut-être [sabazius, p. 929]. Maintenant encore on remplace quelquefois une partie du malt par d’autres céréales (riz ou maïs) ; on croit voir, au contraire, que les anciens se servaient à l’occasion uniquement de blé". Différentes racines entraient aussi dans la composition du Sdutov préparé par les Tliraco-Phrygiens adorateurs de Sabazios-’. Les Péonicns de Macédoine tiraient leur bière, sous le nom de irapaêi’T )", d’un mélange du millet avec l’aslérée appelée conyza. Les Égyptiens, faisant cuire des gousses de souchets comestibles (jxaXcvaOaXXvi), en obtenaient un produit très doux, qu’ils mêlaient à la bière d’orge ". La bière, chez ces peuples, ne semble pas avoir été appréciée comme de notre temps pour son amertume ; on y ajoutait parfois du miel ’" ; à Thulè (la plus septentrionale des Shetland ?) les indigènes, d’après Pythéas’", préparaient avec du miel et des céréales leur boisson douce-amère, différente par conséquent de l’hydromel.

En définitive, l’antiquité ne semble pas avoir réalisé la bière de luxe. Ainsi pourraient s’expliquer les préjugés des Grecs ’^ contre cette boisson, par-

III, 5b8, 54. — 21 Plin. Nat. h. XIV, 1 19 ; Gros. toc. cit. ; Isid. Elym. XX, 3, 18. — 22 Polyh. XXXIV, 9, 15 Hullsch ; Albin. 1, 16 c. — 23 Virg. Ceorg. III, 376 sq. — 2k Cf. lépigr.imme de l’empereur Julien : Anth. Palat. IX, 308. — 25 Amm. Marc. XXVI, 8, 2. Valens, originaire de Pannonie, était traité de sabaiarius ou « homme à bière ), par les gens de Chalcédoine, qu’il assi^’^cait. — 2G Klorus, loc. cit. suprn, noie 18 : ex frumento potionem. — 27 llcsych. s. v. «çùtov ou SflTT.ov ; Alhen. X, 417 c ; Fragm. hist. gr. C. Mûller, I, p. 59, n» 110 (^où», fcrmenleri ; Euslalh. ad 11. XI, 037 ; XXII, 283. — 28 Hecal. ap. AUicn. X, 447 d. — 29 Thcophr. Biat. plant. IV, 8, 12. — 30 plin. A’nt. h. XXI, 44 : multum vêtus e melle optnmo et ruta. — 31 Ap, sirab. IV, 5, 5, p. 201 c. — 32 À Rome, les Icxtcs de droit relatifs aui legs distinguent le vin et, en bloc, toutes les variétés de boissons de céréales : Ulp, Ùig. XX,III, 6, 9 pr.