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est la compagne immuable, où s’incarne la fixilé des maisons, dans lesquelles se fondent et prospèrent les familles autour du foyer ’. Si l’on veut remonter jus- qu’aux origines de cette conception religieuse dans la race indo-germanique, on peut dire que Heslia estl’Agni des Védas, transformé par l’imagination des Grecs, qui en ont fait la figure la plus intime et la moins active de leur culte, tout en lui maintenant la physionomie de ses lointaines origines’.
Ilestia est issue de l’idée que le feu, sous les espèces de la flamme qui monte vers le ciel, porte au séjour des divinités, et particulièrement de Zeus, l’offrande consa- crée ; elle est la déesse du feu en tant qu’il est l’élément constitutif du sacrifice ^ Mais elle est aussi le génie du foyer en soi, centre immuable dont elle représente la fixité, sans que d’ailleurs l’action de la déesse soit limi- tée à la préparation matérielle de la nourriture, c’est-à- dire de la vie. Ainsi que l’a dit Preuner, partout où Heslia-Vesta est invoquée, elle l’est à la fois comme la flamme permanente qui symbolise un principiï divin et comme la déesse du feu domestique qui constitue l’unité de la famille* .
Si Hestia est un génie du feu en soi, au même titre que Héphaistos-]’e//(«7H« et Prométliée, elle l’est avec celte différence que le premier en personnifie les effets ou utiles ou destructeurs dans la vie cosmique ; le second l’ingéniosité, poussée jusqu’à l’impiété, qui en détourne les usages pour le progrès de la civilisation humaine ; Hestia représente la llamine^ instrument du sacrifice et condition primordiale de l’habitation^.
C’est à travers ces idées essentiellement helléniciues qu’Hérodote apprécie la religion des Scythes, voisins des Grecs et issus delà même souche, lorsqu’il constate que les seuls dieux de leur pays sont Zeus et Hestia et qu’il fait de cette dernière une reine du pays, devenue sa principale divinité, nommée même avant Zeus etGaea*^. Au temps d’Hérodote, les Scythes juraient par les divi- tés protectrices des tentes royales (pa !riX-/,iai ÎSTi’ai), et un folkloriste liistorien nous apprend qu’aujourd’hui encore les Mongols vénèrent, dans chaque famille, la divinité qu’ils localisent au foyer de chaque campement’.
On chercherait vainement, à aucune époque, une définition aussi précise du rôle d’IIestia dans la famille grecque. Non seulement cliez Homère, où sa divinité si’
’ llom. Od. XIV, I3x s.|. ; XIX, 304, cl le commenlaire d’iiuslatho au vers lo’.i ; cf. XXII, 335, avec la iiole ilu même : " ’.c-z’.ol esl proprement le foyer (iï/àsa) de la maison, sur lequel on sacrilic tous les jours à Zeus iortoj/o ; et à une certaine diiinité nommée Ueslia. . — s Welcki-r, Grierh. Goetterlehre, 11, p. C98 ; cf. lustcl de Coulantes, Cité antique, p. ÎO sq. ; Prcller-Hlcw, Griixh. ilylhol. I, p. 3i2. V. infra, Représentations figurées, p. 750. — 3 Cette pliilosopliie de fôtre et du culte d’IIestia a été défulte avec une grande netteté par Boetticher, Tektonik, Il p. 3ii sq. ; Gciliard, Op. cit. I, iS5, cl Preuuer, Hestia.- Vesla. p. 3li, y ont apporté quelques retouches nécessaires. Celui-ci considère l’hommage comme rendu au feu même du sacrifice (chez Kosclicr, toc. cit. p. 26201. V. Serv. Aen. I, 2112 : Vesta... pro religione, quia nullum sacrificium sine igné est, unde et i/isa et Janus (Vid. infra. 11, Vtsta chez les Latins) m omnibus sacrificiis invocan- tur. — t f’reunor. chez Kosclier, Op. cit. p. 2fiiU, 2622, Cf. Hestia-Vesta du même, p, 12t. Cliez tes Ooriens et les Éoliens. le maître de la maison s’appelle i<rti»s«jiL..j.. — 5 Hom. //ijmn. 2’.» ; Aesch. Prom. 450 ; Aristot. Meteor. Il, 9 ; f’orphyr. de Abstin. I, 13. Un ce qui concerne Pronictliêe, Titan révolté el ravisseur du feu, il ne semble pas que la fable hellénique ait jamais exploité sa nature pour l’opposer d celle d Hestia. Aristotc, Meteor. Il, y, rapporte la croyance populaire que I éclat de la flamme du foyer est considéré par les uns comme le sourire, par les autres comme la menace, soil d’IIéphaistos, soit d’IIestia. — 6 llerod. IV, 127 ; cf. ibid. 59, où Bestia esl nommée comme la principale divinité des Scyllics, même avant Zeus et Caca. — .Neuniann, 1, 254, cité par Stein, Herodotos, II, p, 112, Hérodûte^d’ailleurs (II, 50, 2} place Hestia au nombre des divinités grecques auxquelles il attribue une origine égyptienne. Il la nomme entre liera et Tbémis, que suivent les Charités avec les Néréides. Cette opinion revit plus tard ; uue
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devine sans même prendre les apparences de la person- nalité, les mots Éo"rt’aou5(7TiT| demeurent vagues et n’impli- quent pas, quoique vénérables par leur emploi qui sug- gère une idée religieuse, une fonction cultuelle ; mais même plus tard, malgré les tendances bien connues des Grecs à individualiser les influences morales ou les forces cosmiques, on ne saurait dire que l’esprit qui agit dans la flamme du foyer soit devenu un génie divin ’. Hestia n’a été l’objet d’aucun mythe, en dehors de celui qui en fait la vierge par excellence. Elle n’a reçu aucune de ces épithètes caractéristiques où s’évoque l’action des autres dieux. Quand Hestia est en société avec les personnali- tés divines, ce qui arrive rarement, elle n’est recon- naissable qu’à son nom. Nous avons dit à quel titre elle s’oppose à Hermès, en se groupant avec lui ; des raisons de similitude, d’ailleurs indécise, larapproclient de Gaea et d’Héphaistos’ : de la première, parce que l’idée du foyer complète celle du séjour immuable ; du second, parce que le même élément leur est commun. Elle est aussi, à l’occasion, groupée avec Artémis et Athéna, vierges comme elle ; avec Poséidon et Amphitrite, parce que l’agitation continue des Ilots suggère l’idée de la terre immuable, qui borde leur domaine et brise leur effort. Enfin Hestia esl mise en rapport avec Apollon, à la faveur de la divination ’".
Le culte du feu dans Lemnos, où Zeus a précipité son fils lléphaistos, peut servir à nous expliquer comment, dans les maisons delà Grèce antique, s’organisa le culte d’IIestia. Cliaque année les feux y étaient éteints, jus- qu’à ce que de Délos, centre privilégié de la religion d’Apollon, un vaisseau envoyé exprès apportât la flamme nouvelle, prise sur l’autel du dieu ".De même on trouve Hestia assise, dans l’attitude et sous les traits de la maler familius., soit sur un petit autel (jioj|j.iixo ;), soit sur un omphalos : celui-ci ne serait alors << qu’une variante de l’autel dome.stitjue où brille le feu sacré, (ju’un autre symbole de lu divinité que représente el personnifie cet autel, c’est-à-dire d’IIestia’- ». Malgré le penchant bien connu des Grecs à personnifier les forces naturelles, on ne saurait dire que l’esprit agissant dans la flamme ail été dès l’abord une divinité réelle de la famille ’^
De longs siècles ont dû s’écouler avant que se dressât sur le foyer, transformé en autel, une idole représentant la flamme vivifiante el conservatrice ’*. Longtemps aussi
inscription, Corp. inscr. gr. 48’.13, identifie Hestia aec Anubis. — 8 Preuner, Oestia-Vesla.p. 90 ; etchezRoscher, loc.cit. p. 21)25. — 9 V. Tti.r.us, I. V, p. 75 sq. ; Eurip. fragm. 04i Nauck, et Macrob. i, 32, 8 ; Ov. fast. V, 2f.7 ; Serv. Aen. 11, 296 ; Sopbocl. Triplai, chez Pbiloem. nt<i iJTiSelaî, 51, p. 23. Pour Vulca- nus, vid. infra, Ileprésentations figurées. Cf. Preuner, Hestia-Vesta, p. lOS.
— 10 Pour Artémis et Athéna, v. Homer. Oymn. 7 ; cf. Gerhard, Griech. Mijth. 1, p. 422, § 395 ; avec Aphrodite, Démêler el liera, elle forme le carré pythago- ricien ; Plut. /». et Osir. 30 ; cf. Klausen, Aeneas und die Penaten, p. 105, note 310 ; dans le groupe des douze grands dieux avec lléphaistos, chez le Schol. ApolbiD. Rhod. II, 331 ; avec Poséidon, Homer. Iiymn. 31, 2 ; Paus. V, 20, 2 ; X, 5, 3, en même lemps avec Gaea ; avec Apollon et Poséidon, Hom. hymn. 24 ; avec Hermès, Hom. hymn. 7 ; cf. Paus. V, II, 3 ; avec Gaea. Eurip. ap. Macr. 1, 23 ; xal r«rct yif.-.it, ’Ksîîav ii a’ o’i t’azit ^joTÎv xalolj.v ; c’esl-à-dire que celte identifica- tion est. comme d’autres aspects d’IIestia, purement philosophique. On peut induire qu’Hestia ; au Prytanée d’Athènes, était en rapport intime avec les divinités éleusi- niennes. Pour son association avec Amphitrite, préparée par la légende de Poséidon prétendant à la maind’llestia, v. la coupe de Sosias linfr. III, Représent, figurées).
— Il Philostr. Heroica, p’.'740 ; cf. Wclckcr, Triloyie, p. 247 sq. V. chez Urimm, Deutsche Mythol. , p. 508,’ d’après les Acta Hanclorum, Cal. febr. p. 112 b, la légende de sainle Brigitte. — ’2V. Revue archéologique, 1911, II, p. 88 : Hestia à VOmphalos (art. de P. Roussel), et Colin, Fouilles de Delphes, fasc. Il, p. 219.
— 13 Preuner, Heslia-Vesta, p. 81 sq. ; cf. le môme chez Roscher, Op. cit. T. I, 2, p. 2622 sq. Schol. Aristoph. /’/"/. 395. — ’* Porphyr. ap. Euseb. Praep. eeang. 111, 11, p. IC’9 ; Eustalh. ad UdiJSS. XIV, 138 sq. ; XIX, 304 : XXII, 335.