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cette ville de Phocide. Il serait évidemment bien risqué d’admettre que le collège des Thyiades athéniennes remontât aussi haut. On est plutôt tenté de croire que les Thyiades delphiques sont les plus anciennes, et que leur nom et leur organisation, sinon leurs rites, ont été empruntés par des villes où s’était introduit, peut-être sous l’influence de Delphes, le culte enthousiaste de Dionysos. Une épigramme de l’Anthologie Palatine[1] parle des Thyiades d’Amphipolis qui, pour se livrer à l’oribasie, montaient au Pangée. Dans une épitaphe de Thessalonique, d’époque impériale, une prêtresse de Dionysos se qualifie de ἱέρεια θύσα εὐία[2] : le mot θύσα équivaut à θυιάς ; cette prêtresse jouait à Thessalonique le même rôle que Cléô à Delphes, à peu près à la même époque. À Thèbes, où le culte dionysiaque était si important, il n’y avait pas de Thyiades ; les Thébaines chargées de ce culte portaient le nom de Ménades[3], nom consacré par la légende fameuse d’Agavé et de Penthée : c’est parmi les Ménades thébaines, ἐκ Θηβῶν Μαινάδες τρεῖς, et non parmi les Thyiades delphiques, qu’Apollon de Delphes ordonna aux envoyés de Magnésie de choisir les trois femmes qui devaient instituer le culte de Bacchos dans la ville du Méandre[4]. Mais, bien entendu, entre les rites des Ménades thébaines et ceux des Thyiades delphiques, il ne devait y avoir aucune différence essentielle.[5] Paul Perdrizet.


THYMÉLÉ (Θυμέλη). — Parmi les termes techniques qui désignent les diverses parties du théâtre grec, le mot θυμέλη, en raison de la multiplicité des sens que lui attribuent les textes[6], est un des plus difficiles et des plus obscurs. Autel[7], degré (βῆμα)[8], table de sacrifice[9], estrade pour les musiciens[10], orchestra[11], scène ou logéion[12], lieu de spectacle d’une façon générale[13], terrain sacré[14] : telles sont ses principales acceptions chez les lexicographes. Pour les concilier il faut remonter au sens primitif. Or ce sens primitif, ainsi que l’a montré M. C. Robert[15], en s’autorisant surtout des emplois poétiques du mot au ve siècle[16], est très vraisemblablement celui de « base, fondation, soubassement » (κρηπίδωμα)[17] : en sorte que, contrairement à l’étymologie communément acceptée θύειν[18], il paraît rationnel de rattacher θυμέλη à la racine τίθημι et d’y voir un doublet et synonyme de θεμέλιον[19]. Ce point de départ établi, la série des sens dérivés se déduit logiquement. Nous comprenons dès lors ce qu’était cette θυμέλη τοῦ βώμου τοῦ ἐν τῇ νέσῳ, dont parle une inscription déliaque des débuts du iiie siècle avant J.-C.[20] : c’est évidemment la πρόθυσις[21], autrement dit la large base sur laquelle reposait l’autel et où avait lieu l’immolation[22]. Que de la base de l’autel le nom de θυμέλη ait été ensuite transporté à l’autel lui-même, c’est-à-dire de la partie au tout, rien de plus naturel[23]. Et on s’explique également que Pollux appelle cette base βῆμα, puisque en effet elle formait un degré, une marche surélevée entourant l’autel. Mais celle plate-forme ne servait pas seulement aux sacrifices. C’est là aussi que, dans les concours dithyrambiques tenus au théâtre, se plaçaient les aulètes et citharèdes[24] : d’où un sens nouveau du mot θυμέλη, celui d’estrade pour les musiciens. D’un autre côté, beaucoup d’autels, qui n’avaient pas ce soubassement ou piédestal, étaient en revanche précédés d’une table basse destinée à recevoir les gâteaux, fruits et offrandes (ἱερὰ ou θυωρὸς τράπεζα) [ara, fig. 417]. Et, sur cette table, les monuments figurés nous montrent qu’à l’occasion (probablement dans les spectacles rustiques) montaient aussi les musiciens[25]. Par analogie avec la base d’autel, on a donc pu lui donner le nom de θυμέλη. Lorsque, au ve siècle, Périclès fit construire pour les concours musicaux un théâtre rond et couvert [odeon, p. 151], on conserva aussi tout naturellement le nom de θυμέλη à l’estrade[26] élevée au milieu de l’édifice, sur laquelle siégeaient les exécutants[27]. Mais, par un nouveau développement, on en vint à étendre le nom de la θυμέλη, partie centrale de l’orchestra, à l’orchestra elle-même tout entière. Cette extension de sens, qui se rencontre isolément dès le vie siècle dans un fragment de Pratinas[28] devint par la suite tout à fait usuelle, comme le prouve la distinction, si souvent faite par les auteurs anciens, entre les σκηνικοὶ ἀγῶνες et les θυμελικοὶ ἀγῶνες[29] : la première expression s’appliquant aux spectacles dramatiques qui se donnent sur la scène, la seconde aux spectacles musicaux, rhapsodiques et autres, dont le siège était l’orchestra[30]. Mais par quelle nouvelle déviation le mol θυμέλη a-t-il pu finir par désigner la scène elle-même ? Une telle confusion n’a pu, à coup sûr, se

  1. VII, 485 ; cf. Cultes et mythes du Pangée, p. 83.
  2. Cultes et mythes du Pangée, p. 87-88.
  3. Lucan. Pharsal. V, 84 : Delphica Thebanae referunt trieterica Bacchae.
  4. Rev. des études grecques, 1890, p. 351 ; Michel, Recueil d’inscr. grecques, p. 706, no 856.
  5. Bibliographie. Rapp, Die Mänade im griech. Cultus, in der Kunst und Poesie, Rhein. Museum, XXVII, 1872, p. 4 sq. ; du même, Die Beziehungen der Dionysoskultus zu Thrakien und Kleinasien, programme du Karl-Gymnasium à Stuttgart, 1882 ; Weniger, Ueber das Collegium der Thyiaden von Delphi, programme d’Eisenach, 1876 ; Mommsen, Delphika, p. 264 ; J. Girard, art. dionysia de ce Dictionnaire, p. 231 ; Jane Harrison, Prolegomena to the study of greek Religion, p. 392 sq. ; Nilsson, Griechische Feste von religiöser Bedeutung mit Ausschluss der Attischen, p. 284 ; P. Perdrizet, Cultes et mythes du Pangée, p. 68 et 84.
  6. On trouvera la collection à peu près complète de ces textes dans Alb. Müller, Bühnenalterth. p. 428 sq. Voir aussi Dörpfeld-Reisch, Griech. Theat., p. 278.
  7. Poll. Onom. IV, 24 : (ὀρχήστρα) ἐν ῇ καὶ ἡ θυμέλη, εἴτε βῆμα τι οὗσα εἴτε βωμός.
  8. L. l. ; Hesych. s. v. θυμέλαι· οἱ βωμοί ; Id. s. v. θυμέλη ; Schol. Luc. De salt. c. 76 ; Cramer, Anecd. Oxon. II, p. 449 : θυμέλαι.
  9. Etym. Gud. p. 226, 44 : θυμέλη· τράπεζαι, ὀρχήσεις ; Etym. Magn. p. 458, 30 : θυμέλη, ἡ τοῦ θεάτρου μέχρι νῦν, ἀπὸ τῆς τραπέζες ὠνόμασται· παρὰ τὸ ἐπ’ αὐτῆς τὰ θύν μερίζεσθαι, τουτέστι τὰ θυόμενα ἱερεῖα ; Etym. Orion. p. 72 : θυμέλη.
  10. Thom. Mag. p. 179, Ritschl : θυμέλην οἱ ἀρχαῖοι ἀντι τοῦ θυσίαν ἐτίθουν, οἱ δ’ ὕστεροι ἐπὶ τοῦ τόπου τοῦ ἐν τῷ θεάτρῳ ἐφ’ ᾧ αὐληταὶ καὶ κιθαρῳδοὶ καὶ ἄλλοι τινὲς ἀγονίζονται μουσικήν.
  11. Pratinas ap. Ath. XIV, p. 617 c : τίς ὕβρις ἔμολεν ἐπὶ Διονυσιάδα πολυπάταγα θυμέλαν ; Ulpian. ad Dem. Mid. p. 532 ; Phrynich. p. 163, Lob.
  12. Etym. magn. p. 653, 7 : παρασκήνια σκηνὴ δέ ἐστιν ἡ νῦν θυμέλη λεγομένη ; Phrynich. ap. Bekker, Anecd. p. 42, 23 ; Plut. Demetr. 12.
  13. Plut. Syll. 19 ; Alciphr. II, 3, p. 240 Bergk.
  14. Hesych. s. v. θυμέλη· …ἔδαφος ἱερόν.
  15. Hermes, XXXII (1897), p. 439 sq.
  16. Aeschyl. Suppl. 666 ; Eurip. Ion, 46, 114, 61, 228 ; Electr. 713 ; Suppl. 64 Iph. Aul. 151. En prose, le mot ne se rencontre guère, à l’époque classique, que dans les inscriptions ; c’était un terme technique, et, partant, peu usité.
  17. Ce sens résulte clairement du double rapprochement des vers 38 et 46 et des vers 114 et 121 de l’Ion : le mot θυμέλη y est en effet paraphrasé au moyen des expressions équivalentes κρεπίδες ναοῦ et δάπεδον θεοῦ. Il ne suit pas de là, naturellement, que, dans tous les textes d’Eschyle et d’Euripide le mot θυμέλη doive être ainsi traduit : la liberté du style poétique permettait d’en faire un synonyme de « mur, enceinte, temple ». Dans un seul exemple (Eurip. Suppl. 64), M. C. Robert estime que le sens propre d’autel ne saurait être contesté. Je ne suis point de cet avis : c’est l’adjectif δεξιπύρους qui donne ce sens à la locution entière. Quand au v. 666 des Suppliantes d’Eschyle, qui est corrompu, voy. C. Robert, art. cité, p. 440.
  18. Hesych. s. v. θυμέλη ; Schol. Luc. L. l. ; Cramer, L. l. ; Etym. Gud. L. l. De même chez les modernes, Alb. Müller, Bühnenalt. p. 130 ; Dörpfeld-Reisch, Griech. Theat. p. 278.
  19. Cette étymologie avait, du reste, été déjà proposée par les anciens : Cramer, L. l. ; Etym. Gud. L. l. Sur sa conformité avec les lois de la phonétique, cf. C. Robert, art. cité, p. 442, n. 1.
  20. Bull. corr. hell. XIV (1890), p. 397, l. 95 (année 279 av. J.-C.).
  21. Pausan. V, 13, 9.
  22. Voir ara, fig. 409, et Mazois, Ruin. de Pompéi, t. IV, pl. xiv, xv.
  23. Cela était d’autant plus naturel que, comme il sera dit par la suite, cette base était, au point de vue dramatique, la partie essentiel de l’autel.
  24. Et probablement aussi, dans les concours dramatiques, le flûtiste.
  25. Dörpfeld-Reisch, O. l. p. 346, fig. 86
  26. C’est, semble-t-il, cette estrade qui est désignée par le nom de βῆμα dans Plat. Ion, 535 E, et par celui d’ὀκρίβας : Conv. 194 A.
  27. De là sans doute les gloses (Gloss. Philox. éd. Vulcan. p. 167, 18 ; Charis, I, p. 552, 18 Keil) où θυμέλη est défini σανίδωμα ἐπίπεδον, pulpitum, pulpitus.
  28. Voy. plus haut n. 5.
  29. Poll. Onom. III, 142 ; C. i. gr. 2820, l. 15 ; Plut. Fab. Max. 4 ; Vitruv. V, 7 ; Isid. Orig. XVIII, 47.
  30. E. Bethe, Proleg. zur Gesch. des Theat., p. 268 sq.