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entier nombre de notices dont il n’était pas satisfait. Je pourrais citer d’importants et copieux articles qui ne portent pas sa signature et dont il est à peu près l’unique auteur. J’en fis moi-même l’expérience avec mon regretté ami Maurice Albert. Nous nous étions chargés ensemble de l’article Coma ; c’était notre début dans la collaboration au Dictionnaire. Quand l’article nous revint, il était si transformé, si enrichi de notes et de figures nouvelles, que nous dûmes prier le directeur de mettre son nom à côté du nôtre. Mais il fallut insister beaucoup : M. Saglio disait qu’il n’en avait point l’habitude, que c’était sa besogne, à lui, de faire ces compléments. Il trouvait tout naturel qu’on se parât de son travail. J’ajouterai qu’il n’y trouvait même aucun profit matériel et que la rémunération entière allait toujours aux signataires des articles, quelle que fût sa part de rédaction personnelle. Son désintéressement dans cette œuvre gigantesque n’eut de comparable que son courage au travail. Comme récompense morale, il recueillait souvent les compliments de ceux qui le félicitaient de collaborer « à la grande œuvre de M. Daremberg ». Il souriait alors et ne disait rien. Bien peu de gens ont su par lui que Daremberg était mort depuis longtemps.

J’ai été trop mêlé à la vie et aux occupations de mon directeur et ami pour dire ce que représente le Dictionnaire des antiquités dans la science française et le bon renom qu’il a conquis à l’étranger. Je voudrais seulement faire remarquer quelle influence il a eue sur notre jeune école d’archéologie. Dès 1878, M. Saglio se rendait à Rome et se mettait en relations avec l’École française du palais Farnèse ; il sentait que ses amitiés personnelles avec des hommes de son âge ne suffisaient plus et qu’il fallait aller aux jeunes générations. A ce moment l’École de Rome, fondée par Albert Dumont en 1873, était en plein essor ; l’École d’Athènes, réorganisée en 1875 par le même savant, reprenait ses forces, et la création du Bulletin de correspondance hellénique attestait l’étendue plus grande de son labeur. M. Saglio eut la pensée heureuse d’ouvrir les colonnes de son recueil aux élèves formés par la forte discipline de maîtres illustres et rompus aux bonnes méthodes de travail. Les jeunes gens eux-mêmes trouvaient là un débouché pour leur activité et rencontraient dans le directeur un guide bien capable de leur prêcher par son exemple l’exactitude scientifique. Le Dictionnaire connut ainsi une nouvelle pépinière de collaborateurs. J’espère avoir rendu quelques services à M. Saglio pour la compléter et l’enrichir ; mais il est juste de rappeler qu’il en eut l’initiative. Dans ce laboratoire beaucoup de jeunes savants, qui sont devenus des maîtres, se sont formés à bonne école et ont trouvé l’occasion de faire valoir leur mérite. C’est un résultat dont le directeur du Dictionnaire pouvait concevoir quelque fierté.

Dans ses relations avec les auteurs Edmond Saglio se montrait toujours très aimable et conciliant. Mais ceux qui croyaient trouver dans sa douceur une cause de faiblesse ou de timidité se trompaient. Je l’ai vu dans certains cas agir avec beaucoup d’énergie et, quand on l’avait offensé — ce qui n’arriva qu’une fois —, il se montrait fort capable de se faire rendre justice. L’affaire de l’article Caelatura, que rappelle M. S. Reinach dans la notice biographique écrite pour la Revue archéologique (décembre 1911), en est la preuve.

Ce fut, du reste, un cas unique et le directeur du Dictionnaire ne compta jamais que des amis dévoués ou des collaborateurs attentifs et déférents parmi les savants groupés autour de lui. On connaissait trop sa haute loyauté, son désintéressement et son amour de la science, pour oublier la confiance qui lui était due. Les difficultés ne lui venaient que des retards toujours inévitables dans une publication de ce genre, où l’on ne peut pas, comme dans une Revue, remplacer un article par un autre et où le plus petit arrêt paralyse la machine entière. Saglio s’ingéniait alors par tous les moyens à presser les retardataires, à stimuler leur activité, à rappeler les promesses faites, à pallier les interruptions par la mise en train des articles futurs. Il s’épuisait en correspondances et en rappels incessants. Il en souffrait souvent, et je l’ai vu à plusieurs reprises attristé, presque découragé, après des mois d’impatiente attente qui laissaient son œuvre comme