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lui-même n’aimait pas à se vanter. Toujours est-il que nous lui devons certainement le Dictionnaire, tel qu’il fut réalisé.

A la fin de 1869, les feuillets de la première livraison étaient livrés à l’imprimeur. Après quinze ans de tâtonnements et d’efforts le Dictionnaire allait enfin voir le jour ; mais la guerre de 1870 survint et tout fut de nouveau arrêté. Nommé préfet de Seine-et-Oise, M. Charton avait pris son gendre comme secrétaire ; il l’emmena avec lui à Bordeaux, où siégeait l’Assemblée nationale. La tourmente politique passée, on se remit à la besogne interrompue. Un nouveau traité, rédigé en avril 1872, prévoyait encore un ouvrage en deux volumes in-4o, de 1 600 pages chacun, avec 3 000 gravures. Il spécifiait aussi que si l’élat de santé de M. Daremberg ne lui permettait pas de continuer à prendre part à l’élaboration du recueil, M. Saglio en resterait seul le directeur. En effet, peu de temps après, dans la même année, M. Daremherg mourait. Il n’avait même pas eu la joie de tenir entre ses mains le premier fascicule terminé de son Dictionnaire. Il ne put pas en écrire la préface ; il y aurait sans doute dit à qui l’on devait la réalisation de son projet et il aurait rendu justice à son collaborateur. Resté seul, M. Saglio ne songea qu’à reporter tout l’honneur de l’entreprise sur celui qui venait de disparaître.

On connaît la suite ; on sait comment le cadre, même élargi ainsi, ne put suffire à contenir tout ce que le nouveau directeur voulait y mettre, afin de rendre l’ouvrage vraiment digne de la science française ; comment, avec l’assentiment généreux des éditeurs, avec l’appui de fidèles et nombreux collaborateurs, il réussit à élever ce monument durable d’érudition qui rend tant de services aux travailleurs de tous les pays. ll faut bien dire que réduit aux seules antiquités de la Grèce, de l’Étrurie et de Rome, ce grand répertoire comprend encore la matière de plusieurs dictionnaires : institutions politiques, religion et cultes, droit, beaux-arts, armée et marine, vie privée, chacune de ces sections pourrait aisément fournir un gros volume séparé.

La façon de travailler de M. Saglio consistait dans le dépouillement méthodique de tous les livres et périodiques qu’il pouvait se procurer. Je crois que c’est l’homme qui dans sa vie a manié le plus de livres. Un de mes amis, qui passe à juste titre pour le bibliographe le mieux informé de France, me disait que Saglio lui avait fait connaître des ouvrages dont il ne soupçonnait pas l’existence. Pendant trente ans nous l’avons vu, chez lui, au Louvre, à Cluny, même aux séances de l’Académie, toujours la plume à la main, feuilletant un livre ou une brochure où il prenait des notes, songeant aux articles présents et futurs du Dictionnaire. De ces notes et notules, de ces schedae jetées à la hâte, d’une petite écriture menue, sur tous les bouts de papier qui lui tombaient sous la main, il remplissait des enveloppes, qu’il triait ensuite avec soin, pour les classer d’après les différents mots du Répertoire dressé d’avance. Aussi, lorsqu’on arrivait à un terme dont l’interprétation ou l’illustration étaient difficiles à établir, on avait recours tout de suite aux fameux dossiers du directeur et l’on y trouvait généralement les références désirées. Des cartons entiers ont été remplis de ces petits morceaux de papier, attestant le labeur colossal et vraiment infatigable du savant. Sa pensée était invariablement fixée sur son Dictionnaire et il y rapportait instantanément tout ce qu’il lisait, tout ce qu’il entendait dire autour de lui. Ce fut pendant certaines périodes une sorte d’obsession ; les siens s’en plaignaient et s’en inquiétaient pour lui. Quand, en 1884, par l’entremise de mon maître M. Georges Perrot qui m’a toujours voulu du bien, je fus chargé d’assister M. Saglio dans son travail, je le trouvai un peu las, non pas découragé, mais fatigué par l’énormité de la tâche qu’il avait assumée. Les jours de la semaine ne lui suffisaient pas ; le dimanche, il courait s’enfermer au Louvre dans son cabinet et il y restait jusqu’au soir. A cette époque ; non seulement il se chargeait tout seul de lire les manuscrits, de les annoter, de les renvoyer aux auteurs, de correspondre avec eux, de choisir les figures et de les faire dessiner, de surveiller l’impression, de corriger les mises en pages plusieurs fois, mais encore il lui arrivait de refaire presque en