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voir au même musée une autre épingle de forme semblable, mais un peu plus grande et portant à son extrémité une tête de sanglier 25[1]. La figure 98 reproduit encore un objet de la même collection : c’est une épingle en argent 26[2] ici réduite au tiers, ayant la forme d’une épée munie de sa garde ; ce n’est pas l’arme ordinaire
Fig. 98 et 99. Aiguilles de tête romaines. Fig. 100. Épingle étrusque.
du soldat romain, mais la longue [spatha] à deux tranchants des derniers siècles de l’Empire. Quelques personnes inclinent même à voir dans cet ouvrage un objet d’une époque encore plus récente. La figure 99 représente une épingle surmontée d’un buste de femme, qui a été trouvée, comme un certain nombre d’autres 27[3], dans le tombeau d’une femme chrétienne ; la figure 100, dessinée de la grandeur du modèle 28[4], une épingle étrusque en or, du musée du Louvre : la tête estampée a la forme d’un gland.

Quelques-unes des épingles qui nous ont été conservées ont pu servir à fixer les pièces de l’ajustement, mais les plus grandes, qui sont aussi les plus nombreuses, ont été certainement employées pour la coiffure. Ces épingles ou aiguilles de tête (acus crinalis, comatoria, βελόνη, περόνη) furent d’un usage général pour les femmes dans toute l’antiquité, et les hommes mêmes en portèrent lorsque la mode de laisser à la chevelure toute sa longueur rendit nécessaire de la diviser et de l’assujettir comme celle des femmes [coma, crobylus]. On voit déjà dans Homère 29[5] un homme dont les cheveux sont ornés de bijoux d’or ou d’argent : c’est un Asiatique, le Dardanien Euphorbe ; et, en effet, ce luxe paraît avoir pris naissance en Asie. Il fut poussé fort loin chez les Ioniens, à Samos, à Colophon, et sans doute dans toutes les riches cités de l’Asie Mineure 30[6] ; il ne resta pas étranger non plus aux Ioniens d’Europe. Les Athéniens, à peu près jusqu’à l’époque des guerres médiques, tinrent leurs cheveux attachés à l’aide d’épingles ornées de cigales d’or 31[7]. Quant aux épingles à cheveux dont les femmes faisaient usage, les exemples fournis par les textes et par les monuments sont abondants et permettent de déterminer assez exactement leurs divers emplois. Les auteurs, en effet, nous apprennent que des épingles ou aiguilles semblables servaient à partager les cheveux, et que pour cette raison on leur donnait les dénominations de discerniculum ou acus discriminalis 32[8]. On rencontre encore ceux de cnason et de scalphorium 33[9], tirés également de leur usage. Un de ces objets est figuré avec un peigne sur une pierre funéraire, comme insigne de la profession d’une coiffeuse ou ornatrix 34[10]. On les voit encore sur les vases peints et les miroirs gravés où sont représentées des scènes de la vie féminine ; ordinairement ils sont placés dans les


mains de servantes ou de génies qui en font l’office. Les ailes dont ceux-ci sont quelquefois pourvus et le nom de lasa inscrit sur un miroir 35[11] a fait prendre pendant longtemps ces aiguilles pour des styles à écrire, que l’on considérait comme l’attribut de ces divinités étrusques du destin ; on supposait par suite qu’un vase de forme allongée, qui en est, dans les mêmes mains, l’accompagnement ordinaire, ne pouvait être qu’une écritoire. Mais un style aigu est un instrument impropre à écrire à l’aide d’un liquide ; et d’ailleurs sur les monuments, l’objet auquel on donnait ce nom se trouve réuni non-seulement à la fiole à parfum 36[12], facile à reconnaître à sa forme pour un alabastrum, mais encore aux miroirs, aux écrins, aux rubans, et les personnages, ailés ou non, qui les tiennent, sont évidemment occupés des soins de la toilette 37[13]. Enfin, on ne peut se méprendre sur l’usage que fait du discerniculum une femme représentée sur un miroir étrusque 38[14] (fig. 101) : elle est dans une salle de bain
Fig. 101. Usage du discerniculum.
en compagnie de deux autres femmes nues comme elle ; agenouillée à demi auprès d’une vasque, elle se coiffe en se mirant. On voit encore sur une ciste gravée 39[15], une femme qui sépare ses cheveux à l’aide d’une aiguille, et se regarde dans un miroir. Ces exemples ne laissent pas de doute sur la destination de l’acus discriminalis. Le mot acus est aussi employé par les auteurs d’une manière générale pour tous les soins donnés à la coiffure [coma] ; et l’on voit par eux que des aiguilles du même genre servaient à friser, à crêper, à lisser, à dresser ou assouplir les cheveux et à leur donner tous les tours [calamistrum] 40[16], quelquefois à les teindre ainsi que les sourcils 41[17]. On sait déjà qu’on les parfumait à l’aide de ces mêmes objets, constamment rapprochés sur les monuments des vases à parfum. Aux nombreux exemples que nous avons déjà cités nous ajouterons (fig. 102) la

Fig. 102. Usage de l’aiguille pour les parfums.


peinture d’un vase grec trouvé dans un tombeau près d’Orvieto 42[18] : elle représente Bacchus tenant une jeune femme embrassée ; et près d’eux un génie ailé, l’Amour peut-être, ayant dans une main un de ces vases et dans

  1. 25 Ib. n° 24.
  2. 26 Ib. n° 22.
  3. 27 Boldetti, Osservaz. sopra i cimiteri, tav. III ; Martigny, Dict. des antiq. chrét. p. 467.
  4. 28 Ib. n° 33.
  5. 29 Iliad. XVII, 52.
  6. 30 Athen. XII, 526, f.
  7. 31 Thuc. I, 6 ; Aristoph. Nub. 978.
  8. 32 Varr. Ling. lat. V, 29, 129 ; Isid. XIX, 31, 8 ; Lucil. ap. Non. p. 35, Merc ; Hieron. In Ruf. III, 42 ; Claudian. XXXV, 15.
  9. 33 Fest. s, v. ; Scaliger, Ad h. l. ; Mart. XIV, 83.
  10. 34 Guasco, Delle onnatrici.
  11. 35 Gerhard, Etrüsk. Spiegel, pl. clxxxi et t. III, p. 4 et 8 ; O. Müller, Handbuch der Arch. 393, 1.
  12. 36 Gerhard, l. l. pl. xxxi à xxxvi, lxxxvi, cxi ; Mon. ined, del Inst. arch. 1853, pl. xlix.
  13. 37 Gerhard, l. l. pl. lxxxii, cvii, clxxxi, ccxiii, cccxvii, cccxviii, cccxix ; Arch. Anzeiger, 1864, p. 28S ; Brauu, Annal, del. Inst. arch. 1853., p. 55 ; Roulez, ibid. 1862, p. 181.
  14. 38 De la collect. de Janzé ; Gerhard, l. l. pl. cccxvi.
  15. 39 Elle appartient au prince Barberini ; Garucci, Bullet. del. Inst. 1865, p. 55.
  16. 40 Ovid. Amor. I, 14 ; Quintil. II, 5, 12 ; Serv. Ad Aen. XII, 100 ; Tertul. De virg. vel. 12 ; Ibid. X. 57 ; H. Rochette, Mém. de l’Acad. des Inscr., t. XIII, 2e partie, p. 740.
  17. 41 Juven. II. 93.
  18. 42 Conestabile, 'Pitiure scoperte pressa Orvieto, 1865, p. 161.