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gens (Augustales ou Augustani) qui furent divisés en plusieurs bandes et qui apprirent à varier et à moduler leurs applaudissements[1]. Quelque personnage de la suite de l’empereur donnait le signal et indiquait le thème aussitôt entonné par les Augustani ; puis tous les assistants, comme un autre chœur, répétaient ce que ceux-ci avaient chanté[2] Les historiens des règnes suivants et les autres écrivains attestent en cent endroits l’usage persistant de ces acclamations[3]. Les expressions qu’ils nous ont conservées et le soin qu’ils ont pris de les noter exactement prouvent qu’elles n’étaient pas abandonnées à la bonne volonté de chacun et confusément proférées, mais que les formules en étaient précises et réglées sur un mode musical. On les retrouve jusqu’à la fin de l’empire d’Occident, et, à ce qu’il semble, encore perfectionnées à la cour de Byzance. Elles ne sont plus alors exclusivement réservées à l’empereur ou à sa famille ; elles sont un des privilèges attachés aux plus hautes charges de l’empire[4]. Elles ont passé jusqu’au moyen âge et les traces en subsistent dans la liturgie ecclésiastique[5].

C’est surtout dans les jeux et les représentations du théâtre que le peuple, dès le temps de la République, s’était accoutumé à témoigner aux personnages importants sa sympathie ou son aversion, en essayant parfois d’imposer ses désirs comme des ordres à ceux qui lui commandaient[6]. Quand il n’eut plus, sous le pouvoir d’un seul, d’autres moyens de manifester ses sentiments, il continua d’user de celui-ci avec une liberté parfois importune et en se servant des mêmes moyens qu’il employait à l’égard des acteurs, c’est-à-dire en battant des mains, en criant, en jetant des fleurs, en agitant des vêtements ou des mouchoirs [ORARIUM], en prodiguant les noms de dieux et de héros ou les épithètes flatteuses[7]. On voit reproduit (fig. 36) un des côtés du piédestal de l’obélisque de Théodose à Constantinople[8]. L’empereur assis, entouré de sa suite, assiste aux jeux du cirque ou de l’amphithéâtre, et les spectateurs l’acclament, quelques-uns en agitant des mouchoirs.

A côté des acclamations officielles, il y en avait donc d’autres que comportait la liberté du théâtre[9]. Il y en avait aussi d’hostiles, comme les sifflets, que les orateurs avaient eu jadis à redouter même au forum[10], comme les fruits et autres projectiles lancés au visage de ceux qui déplaisaient[11], comme les imprécations de tout genre{adversae, infaustae acclamationes, exsecrationes, convicia). C’est ici le lieu de rappeler les cris de mort qui furent souvent poussés contre les chrétiens. Les empereurs eux-mêmes n’en furent pas toujours exempts, parfois même de leur vivant, quand les passions excitées par les luttes de l’amphithéâtre étaient trop vivement allumées[12], mais surtout quand leur tyrannie n’était plus à craindre. Dion Cassius[13] nous apprend qu’après la mort de Commode, les acclamations mêmes que l’on avait coutume de chanter au théâtre en son honneur furent répétées par dérision et pour insulter sa mémoire. Un autre historien nous a conservé les formules d’imprécations ordonnées par le sénat après la mort de cet empereur[14]19.

L’usage des acclamations avait, en effet, passé du théâtre et de la place publique au sénat. C’est sous ce nom que l’on voit désignés, dans les historiens, les vœux, les félicitations adressés par le sénat à l’empereur, ou les décrets par lesquels lui étaient conférés de nouveaux honneurs ; et, en effet, ces décrets et ces vœux étaient toujours votés par acclamations[15]. Après la lecture faite par un sénateur de la proposition qui leur était soumise, tous les autres s’empressaient de

Fig. 36. Acclamations au cirque en présence de l’empereur.


témoigner de leur adhésion unanime en répétant les mots : Omnes, omnes, ou AEquum est, justum est, ou Placet universis, et autres semblables. Les acclamations tenaient lieu alors de La sentence (sententia) que chacun motivait au temps de la liberté. Sous Trajan, ces acclamations commencèrent à être notées dans les ACTA et gravées sur des tables de bronze[16].

Les formules inventées par l’adulation étaient extrêmement variées ; on en trouvera un grand nombre recueillies dans les ouvrages de Ferrarius, De acclamationihus veterum, et de Brisson, De formulis ; elles sont remarquables par leur développement et l’accumulation des vœux, des titres et des épithètes ; d’autres, abrogées, se lisent sur les monnaies et médailles. On en voit dans certaines inscriptions qui sont de simples souhaits formés par des particuliers[17] ; quelques-unes sont des acclamations en l’honneur des vainqueurs dans les luttes du cirque et de l’amphithéâtre[18] ; il en sera parlé ailleurs, comme aussi des santés et des vœux analogues usités dans les repas ou par forme de salutation, que l’on trouve peints sur des vases ou gravés sur des pierres fines[19] [COMISSATIO, SYMPOSIUM, INSCRIPTIONES].

  1. Suet. Nero, 20, 25 ; Tac. Ann. XVI, 4.
  2. Dio Cass. LXI, 20 ; XLIII, 18.
  3. Plin. Traj. Paneg. 74 ; Id. Epist. II, 13 ; Dio Cass. LXXIII, 2 ; Trebell. Claud. 4 ; Valerian. 1 ; Capitol. Ant. Pius, 3 ; Maximini duo, 16, 26 ; Gordiani tres, Max. et Balbin. 3 ; Volcat. Avid. Cass. 135 ; Lamprid. Anton. 1 ; Alex. Sev. 6-12 ; Claud.4, 18 ; Flav. Vopisc. Tocit. 4, 5, 7 ; Prob. 11 ; cf. Aristeneti Epist. I, 26.
  4. Cod. Theod. 1. VI, tit. IX, 2 ; Gothofr. ad h. L ; Cassiodor. Var. I, 31 ; Procop. Goth. I, 6 ; Coripp. Laud. Just. I, 338; II, 168, 308 ; Const. Porphyr. De caerem. I, 4. B. 6 ; Reiske, ad h. l.
  5. Ducange, Gloss. lat. LAUDES ; Gloss. gr. Eijriiiciv.
  6. Dio Cass. LVIII, 31.
  7. Dio Cass. LX1, LXII1 ; Tac. Ann. XIV ; Capitol. Tres Gordian.
  8. Seroux d’Aguicourt, Hist. de l’art, IVe partie. II, pl.X.
  9. Plin. Ep. VI, 5 ; Claudian. De sext. cons. Honor. 613 et s.; Tac. Dial. 13 ; Senec. Ep. XXIX, 12.
  10. Cic. Ad famil. VIII, 2 ; Ad Atti. 13.
  11. Macrob. Sat. II, 6 ; Spartian. Pesc. Nig. II.
  12. Capitol. Commod. 6.
  13. Dio Cass. LXXIII.
  14. Lamprid. Comm. 18, 20 ; cf. Suet. Domit. 23, 2.
  15. Capitol. Maximin. et Balbin., 2 ; Maximini duo in fin. ; Gordiani tres, 8 ; Flav. Vopisc. Tacit. 3, 4, 6, 7 ; Prob. 11, Aurelian. 20 ; Trebell. Poll. Valerian. 1 ; Claud. 4. et in fin. ; Vulc. Gallican. Avid. Cass. 13 ; Lamprid. Al. Sever. 6.
  16. Plin. Paneg. 75 ; Lamprid. Al. Sev. 6, 56 ; Commod. 18 ; Mommsen, Ber. der sächs. Gesellsch. 1850, p. 59.
  17. Spon, Mél. sect. IX, p. 297 ; Ficoroni, Gem. lit., p. 54, n° 30.
  18. Corp. I. gr. 6354 ; Gruter, 1075, 9 ; Garrucci, Vetri ornati, XXXIV, 6 ; XXXVIII, 6.
  19. Pierres gravées de Stosch, II, lO ; Garucci, loc. cit. VI ; id. Graffiti, p. 15, 85, 95.