Page:Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines - Daremberg - I 1.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ACA — 13 — ACA


l’acanthe domestique. La légende si connue, racontée par Vitruve[1], sur l’origine du chapiteau corinthien l’indiquerait déjà [capitulum] ; l’abondance de l’acanthe sauvage en Grèce, comparée à l’excessive rareté de l’acanthe molle, le prouverait aussi ; mais ce qui le démontre sans réplique, c’est l’examen des monuments grecs encore existants. Nous trouvons l’acanthe épineuse au monument choragique de Lysicrate, dans le chapiteau des colonnes et dans le magnifique fleuron triangulaire du couronnement, qui porta jadis le trépied décerné au chorège [acroterium][2] ; nous la trouvons dans les nombreuses stèles athéniennes, où elle forme ordinairement la base de l’ornementation sculptée[3] [sepulcrum] ; nous la trouvons enfin dans les édifices où la pure tradition grecque s’est plus ou moins bien conservée, c’est-à-dire aux chapiteaux du temple d’Apollon Didyméen[4], à ceux de la tour des Vents à Athènes, de l’Incantade à Salonique, de l’Arc et du Portique d’Adrien[5],
Fig. 26. Acanthe du temple de Jupiter Olympien à Athènes..
et du temple de Jupiter Olympien à Athènes[6], etc. Nous donnons (fig. 26), comme exemple de la feuille d’acanthe telle que les Grecs l’ont comprise et interprétée, une feuille d’un chapiteau de ce dernier temple.

Chez les Romains, les monuments qui datent de la République, nous offrent une interprétation curieuse de l’acanthe. La masse de la feuille est restée la même, mais les détails sont changés ; les extrémités de chaque partie de la feuille se sont arrondies et frisées au lieu de rester aiguës et droites. Le chapiteau du temple de Vesta à Tivoli, dont une feuille est représentée
Fig. 27. Acanthe du temple de Vesta à Tivoli.
fig. 27, les rosaces du plafond sous le portique du même temple, les chapiteaux du temple de la Fortune à Préneste, aujourd’hui Palestrine, et de la Basilique de Pompéi, un chapiteau isolé à Cori, sont de très-beaux eaux types de l’acanthe ainsi traduite[7]. On a voulu voir ici l’imitation des feuilles de la vigne, greffées en quelque sorte sur la masse conservée de l’acanthe ; on a ajouté comme preuve que, dans la plupart de ces chapiteaux, les caulicoles paraissent imitées des vrilles de la vigne[8]. Nous y reconnaîtrions plutôt la feuille de la solanée appelée vulgairement bouillon blanc ou chou gras, et nous donnerions à ce mode d’expression de l’acanthe une origine étrusque. Nous retrouvons en effet cette feuille dans des monuments étrusques qui à coup sûr sont antérieurs aux monuments romains précédemment cités 12[9]. On peut en voir parmi les terres cuites de la collection Campana, actuellement au Musée du Louvre, d’autres encore au Musée de la ville de Pérouse.


Après l’asservissement de la Grèce, quand ses artistes vinrent à Rome chercher l’emploi de leurs talents, nous y voyons apparaître la pure acanthe grecque, avec ses lobes à trois divisions aiguës, avec ses mils ronds comme ceux du chardon épineux, acanthe dont l’ensemble est à la fois décoratif et plein du sentiment de la nature et de la vie. Le temple en marbre de Vesta, à Rome, nous présente, dans son chapiteau, un très-beau spécimen de l’acanthe ainsi comprise 13[10] ; nous la retrouvons aussi à Cori, dans le magnifique chapiteau, en pierre stuquée, des colonnes du temple de Castor et Pollux 14[11]. De la même époque date, sans doute, un temple dont les restes, peu connus, subsistent en France, au Vernègues (Bouches-du-Rhône). Ses chapiteaux, comme ceux du posticum du temple de Livie, à Vienne (Isère), sont ornés de feuilles d’acanthe qui ont tous les caractères ci-dessus décrits 15[12].

Bientôt cependant le sentiment de la nature est abandonné, et, même dans les premiers édifices de l’Empire, les chapiteaux présentent une feuille d’acanthe conventionnelle, qui n’a plus, de la feuille primitive, que l’aspect général. Les grandes divisions sont toujours observées, l’ensemble est décoratif et monumental, mais l’effet est froid, la vie est absente. On a remarqué ici, comme esprit de détail, l’introduction de la feuille de l’olivier et de celle du laurier. Chaque lobe de la feuille offre quatre ou cinq divisions, profondément refendues, dont chacune, creusée en coquille, peut, ais rigueur, représenter la ligne extérieure d’une feuille d’olivier ou de laurier ; l’œil est allongé, les côtes sont très-fortement accusées et celle du milieu est ornée de divisions ou d’une petite feuille étroite superposée. C’est la feuille que nous offrent le plus fréquemment les édifices roussins. Nous la trouvons aux chapiteaux du temple de Mars Vengeur, du Panthéon, du portique d’Octavie, de l’arc de Titus, du temple d’Antonin et Faustine (fig. 28), etc., et généralement dans les modillons des entablements de ces mêmes édifices 16[13]. Dans le chapiteau du temple de Jupiter Stator,
Fig. 28. Acanthe du temple d’Antonin et Faustine.
et dans le chapiteau à têtes de bélier qui provient de l’intérieur du temple de la Concorde 17[14], cette feuille conventionnelle prend un autre caractère ; elle montre plus de vie par la forme flamboyante de ses divisions.

L’acanthe molle, plus fine, plus souple, plus gracieuse, peut-être, fut surtout, comme nous l’avons dit, employée par les Romains. Ils la transformèrent en y ajoutant des détails pris à d’autres plantes, telles que le persil, et en tirèrent ces magnifiques ornements qui couvrirent les moulures, les modillons, les consoles, les frises d’entablements, les corps de pilastres, etc., et dont les exemples sont si nombreux. Nous n’en citerons que quelques-uns parmi les meilleurs : les moulures du piédestal de la colonne Trajane 18[15], la cymaise du temple de Jupiter Sérapis à Pouzzoles 19[16], les consoles et les rinceaux

  1. 4 Vitruv. IV, 1.
  2. 5 Stuart et Revell, Ant. of Ath. I, ch. 4, pl. 3, 9, 9 ; Owen Jones, The Grammar of ornament, ch. 4 ; galerie des moulages grecs à l’École des Beaux-Arts.
  3. 6 Ph. Lebas, Voyage en Grèce et en Asie Mineure, pl. II, 14.
  4. 7 Antiq. of Ionia, t. III, ch. 3, pl. 10 (ed. de 1769), pl. 8 (ed. de 1821).
  5. 8 Stuart et Revett, Antiq. of Athens, t. I, ch, 3, pl. 6, 7 ; t. III, ch. 3, pl. 6-10, et ch. 9, pl. 3.
  6. 9 Penrose, Principles of Athen. Arch. pl. 39.
  7. 10 Envois de Rome de MM. Tétaz. Ancelet, Bonnet et Brune, biblioth. de l’École des Beaux-Arts.
  8. 11 Canina. Arch. romana, pl. 40, p. 73.
  9. 12 Monumenti mediti dell’Inst. archeol. 1833, tav. 20.
  10. 13 Galerie des moulages romains ; Envoi de Rome de M. Bonnet, Bibl. de l’école des Beaux-Arts. —
  11. 14 Envoi de Rome de MM. Th. Labrouste et Brune.
  12. 15 Moulages romains à l’École des Beaux-Arts.
  13. 16 Moulages romains à l’École des Beaux-Arts, et Envois de Rome de MM. Paccard, Louvet, Lebouteux, Vandreiner et Ginain.
  14. 17 Moulages romains à l’École des Beaux-Arts, et Envois de MM. Ancelet et Daumet.
  15. 18 Envoi de Rome de M. Giuain.
  16. 19 Envoi de Rome de M. Garnier.