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à un exemple puisé dans une législation étrangère, si l’avortement avait été puni à Rome d’une peine capitale.

On ne trouve de trace d’une loi pénale contre l’abortio partus que 200 ans environ après Jésus-Christ, sous le règne de Septime Sévère et de son fils Antonin Caracalla 9[1]. Le jurisconsulte Marcien nous apprend 10[2] qu’en vertu d’un rescrit de ces empereurs la femme coupable d’avortement volontaire doit être envoyée, par le président de la province, en exil temporaire, parce qu’il serait indigne qu’une femme pût impunément enlever à son mari l’espoir d’une postérité. Tryphoninus 11[3] se réfère au même rescrit, en appliquant cette peine à la femme divorcée qui se fait avorter, ne jam inimico marito filium procrearet. On voit encore apparaître ici, comme un motif de pénalité, l’intérêt du mari. Longtemps auparavant, du reste, la même idée se montre déjà dans Tacite 12[4] lorsqu’il nous raconte les accusations odieuses que Néron élevait contre la fidélité conjugale d’Octavie. Mais l’avortement n’en était pas moins puni d’une manière absolue, et indépendamment du préjudice causé au mari, comme le prouvent très-bien Platner 13[5] et Rein 14[6]. On punissait aussi ceux qui procuraient des breuvages abortifs, abortionis poculum, ou qui en vendaient 15[7] même sans dol, et sur les prières de la femme. En raison du péril public, mali exempli, la peine des mines était prononcée contre les coupables de basse condition, et la relégation dans une île avec confiscation partielle contre les autres [poenæ, exsilium, confiscatio]. Si la femme avait péri, celui qui avait procuré le breuvage était frappé du dernier supplice 16[8]. Justinien 17[9] range l’avortement volontaire de la femme parmi les causes de répudiation [divortium] permise au mari, indépendamment des peines à infliger d’après les anciennes lois. Du reste, ce crime demeura fréquent dans l’empire romain malgré la vigilance que les empereurs chrétiens apportèrent dans l’application de la pénalité 18[10]. G. Humbert.

Bibliographie. Matthacus, De criminitatis. 47, 5, 1 ; Bochmer, De caede infant. 1740 ; Rein, Das Criminalrecht, p. 445, note 2. Leipzig, 1844.


ABOLITIO. — Ce mot, dérivé de abolere, signifiait en droit romain la suppression d’une poursuite criminelle, imminente ou déjà commencée, sans que le délit fût effacé ; ainsi la procédure seule était anéantie, de sorte qu’une nouvelle accusation aurait pu être formée à l’occasion du même fait ; l’action de la loi pénale était seulement suspendue.

On distingue l’abolition publique ou générale, par le sénat ou par une loi, de l’abolition privée. La première, dit Rein 1[11], a été longtemps confondue avec l’indulgence [indulgentia], bien que des lois 2[12] eussent soigneusement distingué l’indulgence, spéciale ou générale, des deux espèces d’abolition privée ou publique. Le savant criminaliste allemand attribue à Hermann 3[13] le mérite d’avoir le premier mis en lumière cette distinction capitale 4[14].

Abolitio generalis. Celle-ci est la plus ancienne et remonte à la période républicaine. En effet, il était d’usage, lorsqu’on faisait des supplications publiques [supplicatio] et la cérémonie du lectisternium, de délivrer tous les prisonniers 5[15]. Comme le nombre de ces solennités religieuses s’accroissait, on devint plus avare d’abolitions, et on finit par les supprimer. Mais, sous l’Empire, l’usage en fut renouvelé. Des abolitions étaient proclamées à l’occasion des événements qui donnaient lieu à des réjouissances publiques : ainsi, lors de l’avènement du prince, ou à l’anniversaire de sa naissance, ou pour célébrer une victoire, enfin, sous les empereurs chrétiens, à l’époque des grandes fêtes de l’Église 6[16]. Valentinien prononça à Pâques une abolition générale, sauf pour certains crimes très-graves 7[17] ; cette dernière devint traditionnelle, si bien qu’elle n’eut plus besoin d’être accordée expressément 8[18]. L’abolition en principe émanait du sénat, tandis que l’indulgence venait du prince 9[19]. Ce n’est que plus tard, lorsque l’autorité du sénat eut disparu complètement, que les empereurs s’attribuèrent le droit d’abolition ; aussi quelquefois, depuis cette époque, les mots abolitio generalis sont employés pour indulgentia 10[20], et plus souvent dans le Code Théodosien. Mais les juges n’eurent jamais le droit d’abolition. L’effet de l’abolitio generalis était d’éteindre l’accusation, et de faire rayer les noms des accusés. On exceptait habituellement de l’abolition générale les esclaves et les calomniateurs 11[21] ; enfin, l’adultère, l’inceste, le sacrilège, l’homicide, le crime de lèse-majesté, et tous les délits importants étaient exclus de l’abolition annuelle de Pâques, en sorte qu’elle se bornait aux infractions les moins graves 12[22]. Les prisonniers étaient délivrés, et demeuraient libres pendant le temps des fêtes 13[23] ; mais ensuite l’accusation pouvait être reprise soit par le premier, soit par un nouvel accusateur 14[24], pourvu que ce fût dans un délai de trente jours utiles ; ce temps écoulé, le droit d’accusation était prescrit, et ne pouvait plus être exercé 15[25].

Abolitio ex lege. Lorsqu’il se présentait, relativement à l’accusateur, un obstacle légal qui s’opposait à ce que l’accusation eût son cours, soit qu’il fût mort, ou que sa plainte dût être rejetée pour nullité de forme 16[26], le nom de l’accusé pouvait être rayé en vertu d’une abolition formelle, nommée abolitio ex lege 17[27]. Cette espèce d’abolition fut introduite par les lois Julia De vi [vis publica, privata], et De adulteriis [adulterium], et étendue par un sénatus-consulte ; dans tous ces cas, l’accusation pouvait être reprise pendant un délai de trente jours utiles.

Abolitio privata. Quelquefois le nom de l’accusé était effacé sur la demande de l’accusateur et dans son intérêt, pour le soustraire aux conséquences fâcheuses d’une poursuite mal fondée ou abandonnée. C’est ce qu’on nommait abolitio privata ; sans elle, celui qui délaissait l’accusation était puni pour tergiversatio. Cette règle avait été introduite par le sénatus-consulte Turpilianum, ou par la loi Petronia, dans laquelle Hermann ne voit toutefois qu’une confirmation par les centuries de ce sénatus-consulte 18[28]. L’accusateur sollicitait cette abolition du magistrat, gouverneur de la province, ou de l’empereur 19[29], en s’excusant sur son erreur, ou sur sa témé-

  1. 9 Gros. VII, 17 et sq. —
  2. 10 I. 4, Dig. De extraord. crimin. XLVII, II. —
  3. 11 I. 39, Dig. De poenis, XLVIII, 19.
  4. 12 Ann. XIV, 63.
  5. 13 Quaest. de jure crim. Rom. p. 211.
  6. 14 Op. cit. p. 448 ; I. 8, Dig. Ad leg. Cornel. De sicar. XLVIII, 8 ; I. 38, § 5, De poenis, XLVII, 19.
  7. 15 l. 3, § 1 et 2, Dig. Ad leg. Corn. De sicar.
  8. 16 Paul. Sent. V. 23, 14. —
  9. 17 Novell. 22, c. 16.
  10. 18 Tertull. Apol. 9 ; Hiéron. Epist. p. 22, ad Eustach. ; Amm. Marc. XVI, 10, et Rein, op. l. p. 449.
  11. ABOLITIO. 1 Das Criminalrecht der Römer, p. ; 73.
  12. 2 L. 9, Cod. Justin. De Calumn. IX, 46 j 3, Cod. Theoil. De abolit. IX, 37.
  13. 3 De abolition. crimin. Lips. 1834.
  14. 4 Op. cit. p. 3 à 18.
  15. 5 Tit. Liv. V, 13. — 9 L. 2, § 1, Dig. De cust. reor. M.VIII, 3 ; 1. 12, Dig. Ad S. C. Turpilian. XLVIII, 16 ; Cassiodor. Nar. XI, 40.
  16. 6 L. 8, 9, 12, Dig. Ad S. C. Turpilian. XLVIII, 16.
  17. 7 L. 3, Cod. Theod. De indulg. crim. IX, 38.
  18. 8 L. 4, 6, 7, 8, Cod. Theod. cod. lit. ; L. 3, Cod. Just. De episc. audiend. I, 4, et Godefroy, Cod. Theod. h. t., où il cite à ce sujet un grand nombre de passages des Pères de l’Église.
  19. L. 2, § 1, Dig. De cust. reor., XLVIII, 3 ; 1. 12, Dig. Ad S. C. Turpilian, XLVIII, 16 ; Cassiodor. Var. XI, 40.
  20. 10 L. 17, Dig. Ad S. C. Turpilian. : L. 2, 3, Cod. De gen. abol. IX, 43.
  21. 11 L. 9, Cod. De calumn. IX, 46 ; L. 3, Cod. Theod. De abol. IX, 37 ; L. 2, D. De custod. reor. XLVIII, 3 ; L. 16, Dig. Ad S. C. Turp. XLVIII, 16.
  22. 12 L. 3, 4, 6, 7, 8. Cod. Theod. De indulg. IX, 38 j’I. 3, C. De episc. aud. I, 4.
  23. 13 Chrysost. Homil. in psalm. Il ; Amhros. Epist. 33.
  24. 14 L. 7, pr. Ad S. C. Turpilian. L. 2, S 2, Dig. Accus. et inser. XLVIII, 2.
  25. 15 L. 10, § 2 ; 1. 15, § 6, Dig. Ad S. C. Turpil. ; Paul. Sent. V, 17, 2 ; 1. 1, 2, C. De gen. abol. IX, 43.
  26. 16 L. 3, § 4, Dig. De accus. XLVIII, 2 ; 1, 3, § 1 eod. ; 1. 35, Ad Icg. Jul. De aduller. XLVIII, b.
  27. 17 L, 3, g 4 ; Dig. De accusat. XLVIII, 2 ; 1. 10, pr. Dig. Ad S. C. Turpilian.
  28. 18 L. 16, Cod. leg. Jul. De adull. ; Hermann, De abolit, erim., p. 31 et sq. ; 1. 1, g 7, 8, 10, Dig. Ad S. C. Turpilian. ; 1. 39, g 6, Dig. Ad li-g. Jul. De udull. XLVUI, 5.
  29. 19 L. 13, § 1, Dig. Ad S. C. Turpilian. L. I, 3 : Cod. De abol. : L. 16, Cod. Ad leg. Jul. De adulter. I, 9.