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séquent, sont moins des voyelles proprement dites que des aspirations légères auxquelles un son vocal est inhérent. Ce fut seulement lorsque l’alphabet phénicien fut adopté par des nations de race aryenne, et appliqué à l’expression d’idiomes où les voyelles avaient un rôle radical, fixe et essentiel, que l’on choisit un certain nombre de ces signes des aspirations légères ou initiales, pour en faire la représentation des sons vocaux de l’intérieur des mots.

Les hiéroglyphes égyptiens ont conservé jusqu’au dernier jour de leur emploi les vestiges de tous les états qu’ils avaient traversés, depuis l’idéographisme exclusif de leur origine, jusqu’il l’admission de l’alphabétisme dans leur partie phonétique. Mais aussi haut que nous fassent remonter les monuments de la vallée du Nil, dès le temps de la ni’ dynastie, c’est-à-dire plus de quarante siècles avant l’ère chrétienne, les inscriptions nous font voir ce dernier progrès accompli déjà. Les signes de syllabes ne sont plus qu’en minorité parmi les phonétiques, dont la plupart sont déjà de véritables lettres, qui peignent les articulations indépendamment de toutes les variations du son vocal qui vient s’y joindre. Que l’on juge par là de la haute antiquité à laquelle il faut reporter les différents états antérieurs à l’apparition de l’alphabétisme, les degrés successifs de progrès et de développement qui avaient conduit l’écriture jusqu’à ce point !

Les lettres alphabétiques de l’écriture égyptienne sont des figures hiéroglyphiques, au tracé plus ou moins altéré dans les tachygraphies successives de l’hiératique et du démotique, dont la valeur alphabétique a été établie en vertu du même système acrologique, que nous avons vu servir de base à l’établissement des valeurs des signes de syllabes. Chacune de ces figures représente la consonne ou la voyelle initiale de la prononciation de sa signification première d’idéogramme, soit figuratif, soit tropique, mais principalement du mot auquel, prise dans le sens figuratif, elle correspondait dans la langue parlée.

Tel est l’état où, de progrès en progrès, nous voyons parvenue celle de toutes les écritures hiéroglyphiques primitives qui atteignit au plus haut degré de perfectionnement, la seule qui s’éleva jusqu’à l’analyse de la syllabe et à la conception de la lettre alphabétique, de l’articulation indépendante de tout son vocal, l’écriture égyptienne.

Avant tout, un mélange d’idéogrammes et de phonétiques, désignes figuratifs symboliques, syllabiques, alphabétiques. En même temps que ce mélange, faculté pour tous les signes figuratifs ou symboliques de prendre une valeur phonétique accidentelle, comme initiales de certains mots, et, d’un autre côté, possibilité d’employer idéographiquement, dans un sens figuratif ou dans un sens tropique, les signes les plus habituellement affectés à la pure et simple peinture des sons, indépendamment de toute idée : tels sont les faits que l’écriture hiéroglyphique égyptienne présente à celui qui veut analyser sa constitution et son génie. Elle constitue, sans contredit, le plus perfectionné des systèmes d’écriture primitifs, qui commencèrent par le pur idéographisme ; mais combien ce système est encore grossier, confus et imparfait ! Que d’obscurités et d’incertitudes dans la lecture, qui, moins grandes pour les Égyptiens que pour nous, devaient cependant encore se présenter plus d’une fois pour eux-mêmes ! Que de chances de confusions et d’erreurs, dont une étude très-prolongée et une grande pratique pouvaient seules préserver ! Quelle extrême complication !

On le voit, même après que les Égyptiens furent parvenus à l’analyse de la syllabe et à l’abstraction de la consonne, il restait un pas énorme à franchir, un progrès capital à consommer, pour que l’écriture parvînt au degré de simplicité et de clarté qui pouvait seul la mettre en état de remplir dignement et complètement sa haute destination. Répudier toute trace d’idcographisme, supprimer également les valeurs syllabiques, ne plus peindre que les sons au moyen de l’alphabétisme pur, enfin, réduire les phonétiques à un seul signe invariable pour chaque articulation de l’organe ; tel était le progrès qui devait donner naissance àl’alphabet, consommerl’union intime de l’écriture avec la parole, émanciper définitivement l’esprit humain des langes du symbolisme primitif, et lui permettre de prendre enfin librement son essor, en lui donnant un instrument digne de lui, d’une clarté, d’une souplesse et d’une commodité parfaites.

Ce progrès pouvait seul permettre à l’art d’écrire de pénétrer dans les masses populaires, en mettant fin à toutes les complications qui en avaient fait jusqu’alors une science abstruse et difficilement accessible, et de se communiquer chez tous les peuples, en faisant de l’écriture un instrument applicable également bien à tous les idiomes, à toutes les idées et à toutes les religions.

En effet, une écriture principalement idéographique ne pouvait que très difficilement passer d’un peuple à un autre. Pour s’en servir, il fallait avoir les mêmes idées, la même civilisation et presque la même langue. Nous n’avons que peu d’exemples de la communication de systèmes graphiques de cette nature entre peuples de race différente, parlant des idiomes absolument divers ; mais ils suffisent pour montrerqu’elle a toujours forcément produit une complication sans bornes, et presque le chaos.

Mais l’invention de l’alphabet proprement dit ne pouvait prendre naissance chez aucun des peuples qui avaient créé les systèmes primitifs d’écriture débutant par des figures hiéroglyphiques, avec leur idéographisme originaire, même chez celui qui était parvenu jusqu’à l’analyse de la syllabe et à l’abstraction de la consonne. Elle devait être nécessairement l’œuvre d’un autre peuple, instruit par celui-ci.

En effet, les peuples instituteurs des écritures originairement idéographiques avaient bien pu, poussés par les besoins impérieux qui naissaient du développement de leurs idées et de leurs connaissances, introduire l’élément phonétique dans leurs écritures, donner progressivement une plus grande importance et une plus grande extension à son emploi, enfin porter l’organisme de cet élément à un très-grand degré de perfection. Mais des obstacles invincibles s’opposaient à ce qu’ils fissent le dernier pas et le plus décisif, à ce qu’ils transformassent leur écriture en une peinture exclusive des sons, en répudiant d’une manière absolue tout élément idéographique.

Le plus fort venait de la religion. Toutes les écritures primitives, par suite de leur nature symbolique elle-même et de leur génie, avaient un caractère essentiellement religieux et sacré. Elles étaient nées sous l’égide du sacerdoce, inspirées par son esprit de symbolisme. Dans la première aurore de civilisation des peuples primitifs, l’invention de l’art d’écrire avait paru quelque chose de si merveilleux que le vulgaire n’avait pas pu la concevoir autrement que comme un présent des dieux. Aussi le système hiéroglyphique était-il appelé par les Égyptiens