Page:Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines - Daremberg - I 1.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.
ABA
ABA
— 3 —


Il faut le supposer assis devant l’un des deux longs côtés de la table posée horizontalement ; il placera des pièces de monnaie ou des jetons sur les bandes formées par l’intervalle des lignes creusées dans le marbre, et ces pièces de compte changeront de valeur selon la place qu’elles occuperont. Solon comparait les favoris des rois à ces jetons qui, à la volonté du calculateur, valent à présent un chalque et l’instant d’après un talent[1]. Le principe est le même que pour l’abaque romain : chaque bande représente un ordre d’unités, les nombres appartenant aux quatre premières unités de chaque ordre (Ⱶ, Δ, H, X) étant représentés par des jetons placés à la partie antérieure de la table, en deçà de la ligne transversale, tandis que les unités quinaires (, , , ) étaient rejetées au delà. Les cinq bandes à droite de la croix centrale suffisaient pour ces calculs. À quoi servaient donc les suivantes ? Le chiffre inscrit sur l’abaque après X, mille, est T qui signifie le talent, équivalant à 6 000 drachmes : on doit donc supposer qu’après la progression par drachmes allant jusqu’à 5 000 commençait une nouvelle progression par talents. Cette progression allant jusqu’au septième ordre d’unités correspond à celle de l’abaque romain qui s’arrête également au million[2]. Les Romains n’ont fait que copier les Grecs. Les fractions de la drachme (I, C, T, X) se calculaient sur les bandes séparées placées à l’extrémité de la table : c’est là encore une autre ressemblance avec l’abaque romain.

Outre les abaques mêmes conservés dans les collections, on peut citer divers monuments où des instruments semblables sont figurés avec plus ou moins d’exactitude, et qui nous en montrent l’emploi. La figure 4, dessinée d’après un sarcophage du Musée du Capitole[3], représente un
Fig. 4 Abaque à calcul.
esclave [calculator, dispensator] debout devant son maître et calculant à l’aide d’un abaque ; mais on a cru à tort reconnaître des abaques dans d’autres objets qui n’ont, avec le précédent, qu’une ressemblance apparente. L’objet que tient à la main le collecteur d’impôts figuré sur le célèbre vase dit de Darius [telones] n’est pas un abaque, mais un livre, un diptyque sur lequel il inscrit les recettes. Ce n’est pas non plus un abaque que l’on voit suspendu, à côté d’une hure et d’un jambon, dans la boutique d’un charcutier que représente un bas-relief romain[4], ainsi que l’ont pensé des archéologues distingués, mais un des mets favoris des anciens, la tétine de truie, sumen, qu’il est facile de reconnaître à cette place [porcinarius].

III. Tables ou damiers se rapprochant plus ou moins des tables à calcul, dont elles prirent le nom, par les divisions qu’on y voyait tracées et les jetons ou pièces qu’on y faisait marcher. Elles servaient à différents jeux aux noms desquels nous renvoyons [duodecim scripta, latrunculi, poleis paizein, petteia, diagrammismos, pentegramma].

IV. Table, buffet, dressoir. Le nom de la tablette supérieure ou abaque fut appliqué par extension au meuble tout entier (κυλικεῖον) sur lequel on plaçait des vases d’or et d’argent ciselés, des œuvres d’art et toutes sortes d’objets précieux que l’on voulait exposer aux regards. Quoique le nom ne se rencontre que chez les écrivains latins, ou chez les écrivains grecs de l’époque romaine[5], il n’est pas douteux qu’il ne fût originaire de la Grèce et de l’Asie, comme l’usage du meuble lui-même, introduit à Rome après les victoires de Cn. Manlius (187 avant Jésus-Christ)[6]. Mais peut-être les Grecs n’appelaient-ils abaque que la tablette sur laquelle on posait les objets. Des meubles de ce genre étaient placés dans les sanctuaires de la Grèce auprès des images des divinités[7] afin de recevoir les riches offrandes exposées, au moins à certains jours, aux yeux du public [donaria, mensa, opisthodomos]. Un bas-relief en terre cuite ici reproduit (fig. 5)[8] offre l’image d’un de ces dressoirs
Fig. 5. Buffet pour les offrandes.
chargé de vases de formes très-variées. De petites armoires pratiquées dans le corps inférieur du meuble paraissent destinées à recevoir les objets et à les tenir enfermés. On voit de semblables dressoirs dans plusieurs bas-reliefs antiques[9]. Sur le célèbre vase de sardonyx, connu sous le nom de coupe des Ptolémées, et conservé à Paris au Cabinet des médailles[10], on voit aussi deux tables portées l’une par des sphinx, l’autre sur des pieds terminés en griffes ; les vases et les statuettes dont elles sont chargées, les masques et les attributs qui les entourent font reconnaître des tables consacrées au culte de Bacchus, et servant, comme celles dont il vient d’être parlé, à l’exposition des offrandes. Une de ces tables est ici gravée (fig. 6),

Fig. 6. Table pour les offrandes.


on trouvera la représentation de l’autre au mot mensa. Ce sont encore des tables semblables qui sont figurées en relief sur deux des vases d’argent trouvés près de Bernai et faisant partie de la même collection[11]. On peut voir le dessin de l’une d’elles au mot rhyton.

À Rome, comme en Grèce, des tables tenant lieu d’autels servaient à l’exposition des dons consacrés dans les tem-

  1. Polyb. V, 26 ; Diog. Laert. 1, 59.
  2. Garucci, Bull. Nap. 1854, p. 95.
  3. Mus. Capit. IV, pl. xx.
  4. Zoega, Bassirilievi, tav. 28.
  5. Ammon. s. v.
  6. Plin. Hist. Nat. XXXIV, 3, 14 ; Tit. Liv. XXXIX, 6, 7.
  7. Bœtticher, Tektonik der Hellenen, III, p. 46 ; IV, p. 265.
  8. Mazois, Ruines de Pompéi, III, p. 22.
  9. Gerhard, Antik. Bildw. LXXV, 1 ; et parmi les terres cuites de la collection Campana, au Musée du Louvre.
  10. Chabouillet, Catalog. No 279 ; Clarac, Musée de Sculpt. II, pl. cxxv.
  11. Chahouillet, no 2807, 2808. Le Prévost, Vases de Berthouville, 1832, pl. xi, xii.