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Il existe encore plusieurs abaques antiques établis d’après le même principe. Les plus faciles à expliquer appartiennent aux Romains : ce sont des tables de métal contenant des rainures ou munies de tringles le long desquelles se meuvent des boules ou clous à deux têtes qui servent à faire les comptes. Celui qui est ici figuré (fig. 2) appartient au Musée Kircher,


Fig. 2. Abaque à calcul romain.

à Rome[1]. Les divisions y sont marquées par huit rainures inférieures auxquelles correspondent huit rainures supérieures plus courtes, et une neuvième rainure inférieure sans rainure supérieure correspondante. Quatre boutons glissent dans chacune des rainures inférieures, la huitième exceptée, qui en a un de plus ; il n’y en a qu’un seul dans chacune des rainures supérieures. Dans l’intervalle des deux rangées de rainures on voit des sigles ponctués dont quelques-uns sont assez difficiles à reconnaître, mais qui se lisent plus clairement sur un autre abaque connu sous le nom de Welser qui le possédait et l’a le premier publié[2]. Laissons de côté pour le moment les deux dernières rainures. Ces sigles, au moyen desquels on compte par as, deniers ou sesterces, signifient :

CCCIƆƆƆ CCIƆƆ CIƆ C X I
1 000 000 100 000 10 000 1 000 100 10 1

Le moyen de représenter un nombre quelconque avec cet appareil repose sur ce principe[3] que chaque rainure représente un ordre d’unités et se divise par 5 (V) et 4 (IIII) comme le nombre 9 (VIIII). Les unités d’un certain ordre, quand elles ne dépassent pas 4, s’indiquent par un pareil nombre de boutons de la rainure inférieure correspondante, que l’on pousse vers le haut : le bouton supérieur indique cinq unités quand on l’approche des premiers. Supposons, par exemple, que l’on compte par deniers : chacun des boutons de la septième rainure inférieure vaudra 1 denier, celui de la rainure supérieure 5, et tous ensemble en vaudront 9 ; de même chaque bouton de la sixième rainure inférieure vaudra 10 deniers, le bouton de la rainure supérieure 50, et tous ensemble 90, et ainsi de suite.

Les fractions (oes excurrens) se calculaient d’après le système duodécimal des Romains, par onces ou douzièmes de l’as et par les autres fractions de l’as. C’est à quoi servaient la huitième rainure marquée du sigle 0 ou Θ, qui signifie l’once, et la neuvième marquée des sigles S, Ɔ, Z ou 2. La huitième rainure a cinq boutons inférieurs valant une once et un bouton supérieur qui en vaut six, et l’on peut ainsi compter jusqu’à 11. Les fractions au-dessous de l’once se comptaient sur la neuvième rainure. Les quatre boutons de cette rainure, réunis dans l’abaque du Musée Kircher, se distinguaient peut-être (ils ont été restaurés) par trois couleurs différentes ; dans d’autres abaques, comme celui de Welser, ils sont séparés et répartis entre trois petites rainures. Les boutons valaient sur celle d’en haut, marquée du sigle S (semuncia), ½ once ou de l’as ; sur celle qui vient immédiatement au-dessous, marquée du sigle Ͻ (sicilicus) ¼ de l’once ou de l’as ; sur celle d’en bas, marquée du sigle Z ou 2, les boutons valent chacun une duelle (duella ou duoe sextuloe), c’est-à-dire ⅓ de l’once ou de l’as.

Ces instruments de calcul qui servaient à faire des additions et des soustractions ne doivent pas être confondus avec l’abaque ou table dite de Pythagore, tableau de nombres destiné à faciliter les opérations plus compliquées de la multiplication et de la division [arithmetica].

La manière de faire usage de l’abaque romain étant connue, il est facile d’expliquer par analogie comment on devait se servir d’un abaque grec
Fig. 3. Abaque à calcul grec.
qui a été trouvé dans l’île de Salamine (fig. 3). Il consiste en une plaque de marbre longue de 1m,5, large de 0m,75, sur laquelle sont tracées, à 0m,25 de l’un des côtés, cinq lignes parallèles, et à 0m,5 de la dernière de ces lignes onze autres disposées de même, qu’une ligne transversale coupe en deux parties égales. La troisième, la sixième, la neuvième de ces lignes sont marquées de croix au point d’intersection ; enfin trois séries de caractères sont rangées sur trois côtés dans le même ordre, de façon qu’on peut facilement les lire en quelque sens qu’on tourne la table. On remarquera seulement qu’une des séries offre en tête deux caractères de plus que les deux autres. M. Rangabé, qui signala le premier la découverte de ce monument[4], n’y vit d’abord qu’une table de jeu ; Letronne[5] y reconnut de suite un instrument de calcul et détermina la valeur numérique des caractères ; M. Vincent à son tour en expliqua l’usage[6]. Ⱶ étant le sigle connu de la drachme, les caractères qui suivent dans chaque ligne de droite à gauche forment l’échelle numérique suivante :

Δ Η Χ
1 5 10 50 100 500 1000

Deux caractères ont été ajoutés, comme on l’a déjà fait remarquer, à gauche de l’une des lignes, , qui signifie 5,000 et Τ, sigle du talent valant 6,000 drachmes. Les caractères qui, dans chaque série, suivent à droite le sigle de la drachme indiquent : Ι l’obole, C ½ obole, Τ ⅓ de l’obole (τριτημόριον) suivant l’interprétation de Letronne, ou ¼ de l’obole (τεταρτημόριον), d’après l’explication très-plausible de Bœckh[7] ; enfin Χ le chalque. Ainsi la plus faible unité monétaire, le chalque, et la plus forte, le talent, se trouvent aux deux extrémités de l’échelle que le calculateur a toujours présente devant lui.

  1. Carrucci, Bull. Napol. n. s. II, pl. vi,no 2, et p. 93.
  2. Velseri Opp. Norimb. 1862, p. 819, 842 ; Gruter, p. 224 ; Pignorius, De servis, p. 340.
  3. Vincent, Rev. arch. 1846, p. 405.
  4. Ibid. p. 295.
  5. Ibid. p. 305.
  6. Ibid. p. 401.
  7. Gerhard, Arch. Zeitung, 1847, p. 44.