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1943

La Révolution se fait au nom de sa liberté des droits de l’homme, se défie de la société, interdit toute association et isole le travailleur. Elle est donc franchement hostile au droit de grève. La Joi Le Chapelier, du 14- 17 juin 1791, et La loi du 22 germinal an X1 prohibent la coalition, c.-à-d. l’entente concertée des ouvriers comme des patrons pour défendre leurs intérêts. On peut toutefois noter que, dès ce moment, une certaine différence est faite entre la coalition ouvrière et la coalition patronale, cette dernière étant envisagée de façon plus bienveillante : les employeurs qui enfreignaient l’interdiction de former des coalitions étaient punis d’une amende et, s’il y avait lieu, d’un mois d’emprisonnement au maximum, mais seulement dans le cas où la coalition était injuste ou abusive. Au contraire, en toutes circonstances, quel que soit le but de la coalition ouvrière, ses membres encouraient trois mois de prison. Le Code pénal de 1808 renforce cette tendance : l’arrière 414 contre les coalitions patronales laisse au juge un pouvoir d’appréciation, tandis que l’article 415 réprime le délit de coalition pour les travailleurs et le condamne sévèrement par la prison (un à trois mois, trois à cinq ans pour les meneurs).

Après une éphémère reconnaissance du droit de coalition par la révolution de 1848, la loi du 27 nov. 1849 interdit de nouveau la coalition sous peine de sanctions pénales ; la seule différence, semble-t-il, est que l’inégalité entre la coalition patronale et la coalition ouvrière est supprimée.

2° Admission de la liberté de coalition. — La reconnaissance du droit de coalition va se faire sous l’influence d’un double courant : doctrinal et politique. Le premier est représenté par l’école interventionniste, laquelle a beau jeu de faire remarquer l’hypocrisie du principe de non-intervention de l’État, dont se réclame le régime libéral. En fait, dit-elle, l’État n’est pas neutre : il prend position, par ex. en aménageant d’une certaine façon le régime de la propriété. L’État intervient forcément. Ce qui est en cause, c’est, non pas le fait de son intervention, mais l’orientation de cette intervention. Dès lors, pourquoi ne pas reconnaitre le droit de coalition, de façon à permettre aux ouvriers de défendre leurs intérêts ? Par ailleurs, certains hommes politiques agissent dans le même sens. Émile Ollivier, par ex., réclame au nom de l’intérêt généra) l’abrogation do cette loi injuste. Et Napoléon III est trop heureux de trouver ce moyen de rallier à son régime la classe ouvrière. La loi du 25 mai 1864 supprime le délit de coalition, modifie les art. 414, 415 et 416 du Code pénal. Elle remplace le délit de coalition par le délit d’entrave à la liberté du travail. Ceci permet d’ailleurs de restreindre considérabiement le jeu de la grève, laquelle est tolérée plus que légalement reconnue. A proprement parler, la coalition n’est pas reconnue comme un droit ; elle reste envisagée comme une solution de force : simplement, elle n’est plus réprimée. Le gréviste pouvait être poursuivi, non pour fait de grève, mais pour constitution d’association illicite.

La loi du 24 mars 1884 comble cette lacune : il suffit désormais que la grève soit prise en charge par un syndicat pour que le délit d’association disparaisse. Cette loi de 1884 accentue le libéralisme, abroge la condamnation de la « mise à l’index », c.-à-d. de l’interdiction de travailler dans des entreprises déterminées : l’art. 416, qui réprimait la misc à l’index, est abrogé. En fait, d’ailleurs, cette loi de 1884 n’a pas été accueillie avec tellement d’enthousiasme : elle inquiétait les meneurs ouvriers habitués à l’action clandestine et illicite ; le devoir ae déclarer les membres apparaissait comme une mesure de police. Pendant une dizaine d’années, cette loi fut pratiquement inappliquée. C’est seulement en 1895 que le mouvement prendra de l’ampleur.

Théoriquement, les lois de 1936, en introduisant dans notre droit la conciliation et l’arbitrage obligatoires avant toute grève ou lock-out, suppriment le droit de grève ; mais elles ne rétablissent pas les pénalités de la cossition antérieures à 1864.

3° Reconnaissance du droit de grève par la constitution. — Après un bref retour en arrière avec la Charte du travail et le décret du 4 oct. 1941 qui interdit grève et lock-out — sans toutefois qu’une sanction accompagne

GRÈVE 1944 cette interdiction — le préambule de la constitution du 27 oct. 1946 érige la grève en droit fondamental : « Le droit de grève s’exercc dans le cadre des lois qui le réglementent » (un premier projet proposait : « Le droit de grève est reconnu à tous dans le cadre des lois qui le régiementent »). Cet article, en l’absence de lois et de textes complémentaires, fut voté sur une équivoque : pour les marxistes, c’était l’affirmation d’un droit sans limites ; les non-marxistes y voient un principe que peuvent limiter les intérêts supérieurs du bien commun et de l’ordre public. Les lois antérieures, que n’abroge pas le préambule de la constitution, limitent donc le droit de grève. Mais on verra par la suite que les jois postérieures qui le réglementent sont restées jusqu’ici bien timides. Elles ont surtout porté sur deux points : a) La grève est interdite à certaines catégories d’agents de l’État. Déjà le Code pénal (art, 123 et 126) visait les fonctionnaires détenteurs d’une partie de l’autorité publique ; les lois du 27 déc. 1947 et du 28 sept. 1948 portent sur les gendarmes et les C. KR. S. b) La loi du 11 févr. 1950 proclame que {a grève ne rompt pas le contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. Cette loi, dont l’importance dépasse le cadre juridique, met fin à une longue controverse portant sur le point : la grève rompt-elle, ou suspend-elle seulement le contrat de travail ? On voit toute l’importance de cette précision : dans le premier cas, le patron avait le droit de remplacer les grévistes, ceux-ci faisant la grève à leurs risques et périls ; dans le second cas au contraire, ils restaient attachés à telle usine et avaient le droit d’y reprendre leur place après la grève.

Ce dernier point de vue était surtout soutenu par les socialistes et de nombreux jociétés, se référant à la volonté du gréviste. L’ouvrier en grève, disalent-ils, ne songe nullement à déserter l’atelier, à rompre les liens qui l’attachment au patron ; il compte bien, la grève terminée et quelle qu’en soit l’issue, reprendre sa place à l’usine, I ne veut pas mettre fin aux relations de travail, mais les continuer sous des conditions différentes ou meilleures. Pour obtenir ce changement ou cette uméliétation des conditions du contrat, il cesse le travail sans vouloir rompre le contrat de travail, Il s’agit donc uniquement de l’inexécution partielle et temporaire d’un contrat comportant des prestations excessives et devenu inadapté : la partie lésée ne saurait s’en prévaloir pour déclarer le contrat rorapu. Au contraire, la jurisprudence et la plupart des économistes ont longtemps soutenu la thèse de la grèverupture, Pour eux, les ouvriers entendaient bien ne plus travailler aux conditions contre lesquelles ils s’insurgealent. Ils rejetaient donc le contrat qui les liait jusqu’à cette heure, Faire grève, c’est, pour l’ouvrier, reprendre sa liberté : il ne peut le faire qu’en résiliant le contrat qui l’attachait au service du patron. La grève est une dénonétation tacite du contrat de travail, pour obtenir un nouveau contrat plus favorable, Ce fut peudant longtemps l’opinion de la Cour de cassation. Cependant, celle-ci commence à faire quelques concessions à l’opinion opposée, dans les grèves de 1936 (Cass, civ., 15 juin 1937 ; Dalloz périodique [= D. P.], 1938, I, 23 ; 4 août 1937, D. P., 1938, I, 23…). En 1939, la Cour supérieure d’arbitrage se rallie à la thèse de lu grèvesuspension (Cour sup. d’arb., 19 mai 1939 ; Droit social, 1939, p. 199 ; voir A. Desqueyrat, La grève d’hier et d’aujourd’hui, dans Travaux de l’Action populaire, n. 27, févr. 1949, p. 81-95). Il faut d’ailleurs avouer qu’il est difficile de voir dans une grève d’avertissement de vingtquatre heures une rupture du contrat de travail ! La jurisprudence s’affirme progressivement dans ce sens, ce qui n’empêche pas des discussions passionnées jusqu’au vote de la loi du 11 févr. 1950 (voir P. Durand, La fin d’une controverse : les effets de la grève sur le contrai de travail (l’art. 4 de la loi du 11 févr. 1960), dans Droit social, mars 1950, p. 118-26).

Les deux grands arguments qui, au cours des débats, furent avancés en faveur de la théorie de la grève-suspension peuvent se résumer ainsi : S’il est vrai que, en fait, la reconnaissance du droit de grève par le préambule de la constitution de 1946 n’ajoûte rien aux solutions antérieures du droit qu’elle consacre désormais, cette reconnaissance solennelle du droit de grève s’accommode mal de la rupture du contrat. I] y a maintenant une sorte de mystique de l’intangibilité du droit