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préface

Il est des mots dans lesquels le radical n’a pas changé de sens, le suffixe n’a pas changé de forme, et cependant le rapport entre le radical et le dérivé n’est pas le même qu’autrefois. Certains rapports que le suffixe marquait au xvie siècle n’existent plus aujourd’hui. Ce n’est pas que les sens d’aujourd’hui soient nouveaux, la plupart du temps, ils existaient déjà. C’est plutôt que pour diverses raisons le mot a perdu une partie de son ancienne signification.

Bercail, outre son sens habituel, étable à mutons, avait très souvent le sens de troupeau de moutons : Nature a donné ceste faculté au bercail de suivre tousjours la premiere qui marche devant. Trad. de Folengo, Merlin Coccaie, I, 324. — Ce mot semble d’ailleurs n’être qu’une variante dialectale de bergeail, qui, lui aussi, au xvie siècle, signifiait troupeau de moutons.

Corsage a été longtemps synonyme de corps. Le suffixe -age avait la même valeur collective que dans visage : Dame Minerve… A appellé Thelemacque le sage, Semblant Mentor de poix et de corsage. Peletier du Mans, 2e  Livre de l’Odyssée. — Le changement de sens qui a fait de ce mot le nom d’un vêtement n’a rien d’extraordinaire. On l’a vu se produire pour le mot corps lui-même.

Librairie ne désignait pas seulement l’endroit où l’on vend des livres, mais aussi l’endroit où sont rangés des livres. Le mot grec bibliothèque avait été employé déjà, mais c’est seulement plus tard que son usage est devenu habituel : J’ay autresfois trouvé en la Librairie du grand Roy François, qui estoit à Fontainebleau, une vieille traduction de la Bible. E. Pasquier, Recherches, VIII, 5.

Indemnité signifiait l’état de ce qui est indemne, sans dommage. Icy ont parfaicte seureté, indemnité et franchise. Rabelais, V, 4.

Asnier, adjectif et substantif, se disait souvent d’une personne ignorante et sotte : Que seroit-ce, si les enfans qui sont de la plus haute reigle, estoyent des asniers, et que ceux qui sont plus bas eussent mieux profité ? Calvin, 5e  Serm. sur l’Ep. aux Corinthiens.

Boursier avait souvent le sens de faiseur de bourses, et aussi celui de trésorier. Le mot bourse ayant plusieurs significations, il était naturel que son dérivé pût s’adapter l’une ou à l’autre : Plourez aussi, pauvres boursiers ; De bourses n’avons plus mestier. Anc. Poés. franç., VII, 78. — [Philippe à Alexandre, qui essaie de plaire aux Macédoniens par des présents] : As tu envie que Les subjects te tiennent pour leur boursier, non pour leur roy ? Montaigne, III, 6.

Perruquier, entré sans doute dans la langue en même temps que perruque, avait déjà son sens actuel. Mais on le voyait aussi employé dans le sens de chevelu : O beau Soleil luisant, belle et claire planette, Qui pousses tes rayons dedans la nuict brunette : O grand Dieu perruquier. R. Garnier, Hippolyte, 151.

Le sens le plus habituel de tavernier était, comme aujourd’hui, celui qui tient une taverne. Mais le mot pouvait désigner aussi celui qui fréquente les tavernes : Garde toy d’estre tavernier Ne joueur. Anc. Poés. franç., I, 132.

Memorable pouvait signifier non seulement dont on doit se souvenir, mais aussi qui peut se souvenir, qui se souvient. Encore aujourd’hui beaucoup de mots formés avec le suffixe -able ont le sens actif. Autrefois, certains mots pouvaient avoir les deux, et memo-