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préface

L’allegresse était souvent une qualité corporelle : le mot était synonyme d’agilité. Dans la phrase suivante, disposition exprime a peu près la même idée, et ne pourrait plus l’exprimer aujourd’hui : D’adresse et de disposition, je n’en ay point eu ; et si suis fils d’un pere dispost, et d’une allegresse qui luy dura jusques à son extreme vieillesse. Montaigne, II, 17.

La droiture pouvait être la qualité de ce qui est droit, au sens matériel : Cecum, colon, rectum, dict tel pour sa droyture. Aubigné, Création, ch. 11.

Sentiment s’employait là où nous dirions maintenant sensation, pour un fait, purement matériel : Il receut trois coups d’une main large, comme il en jugeoit au sentiment. Aubigné, Hist. Univ., IX, 16. — Il désignait particulièrement l’odorat, quelquefois le goût : Tout ainsi que le chien a bon sentiment, aussi les Lares odorent de loing les pechez et meschancetez. G. Bouchet, 7e Seree.

Le mot candeur s’employait pour exprimer une blancheur éclatante. Candide se trouvait, dans le sens matériel de clair, pur : L’yvoire non fardé de son front blanchissant Surpasse la candeur d’un lis espanissant. P. de Cornu, Poésies, p. 44. — Desquelles cendres l’on pourra faire dus verre qui sera transparent et candide, comme l’eau congelative restoit avant sa congelation. Palissy, De la marne.

Scabreux avait le sens de raboteux, rocailleux : Aux lieux montueux, scabreux et estroits… la cavalerie est presqu’inutile. Charron, Sagesse, III, 3.

Discourir conservait encore le sens de courir çà et là : Leurs souldars sont espars et discourent par les logis ainsi quilz ont de coustume quant ilz ont la victoire. Seyssel, trad. de Thucydide, III, 5. — Avec un complément direct, discourir signifiait parcourir en divers sens : Les uns discourent le païs, les autres chevalent les voyageurs. La Boétie, Servitude volontaire. — Au figuré, le mot pouvait s’appliquer soit à la pensée, soit à la parole. Intransitivement, discourir, c’était réfléchir, raisonner, méditer, aller d’une idée à une autre ; transitivement, c’était parcourir par la pensée, examiner point par point : Elle qui sent parmy Ses propres os loger son ennemy, Pense et repense et discourt en sa teste Son penser vole et jamais ne s’arreste. Ronsard, Franciade, III. — En discourant plusieurs grandes entreprises, qu’il mettoit en son entendement… il proposa en luy mesme d’entendre premierement à gaigner ce qui estoit le plus pres de luy. Amyot, Pyrrhus, 6. Ainsi le sens propre et le sens figuré existaient l’un et l’autre au xvie siècle. Avec son sens actuel, discourir signifie littéralement aller par la parole d’un point à un autre, à différents points. Nous avons à peu près perdu l’emploi transitif, où discourir signifiait exposer, raconter, littéralement parcourir par la parole : Venant sur la bataille de Dreux, il la discourut et la représenta si bien et si au vif que vous eussiez dict que l’on y estoit encor. Brantôme, M. de Guise.

Discours avait les sens correspondants à ceux-là : action de parcourir matériellement : Il ne cesse de faire ses discours et circuits par la terre. Calvin, 8e Serm. sur le livre de Job ; — réflexion, raisonnement : S’il embrasse les opinions de Xenophon et de Platon par discours, ce ne seront plus lei leurs, ce seront les siennes. Montaigne, I, 25 ; — exposé, récit : Fay moy de sa mort le discours. B. Garnier, Hippolyte, 1982. — C’est beaucoup plus tard que le mot discours s’est réduit au sens dans lequel nous l’employons aujourd’hui.

Navrer avait encore le sens matériel aussi bien que le sens figuré. Il était, au sens propre, l’équivalent de blesser : Un serviteur de M. de Champagne… fut navré d’un coup d’espée à la gorge. Paré, VIII, 31.