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préface

Reciter, dont les sens étaient très nombreux, avait entre autres celui de raconter : Adjoustons encore un’ histoire… que Seneque recite en l’une de ses lettres. Montaigne, II, 25.

Reclamer avait le même sens qu’invoquer : Eternel, je te reclame tout le jour : j’estens mes mains vers toi. Aubigné, Médit. sur le Ps. 88.

Repugner était synonyme de résister et de contredire, être opposé, et repugnance synonyme de résistance et de contradiction, opposition : Es queles choses leur a esté bien facile de vaincre ceux qui ne repugnoient point. Du Bellay, Deffence, I, 9. — Combien que ceulx qui estoient descendus les premiers leurs fissent repugnance avec les espées au poing. Le Maçon, trad. de Boccace, Decam., II, 7. — Telle façon de faire repugne à ce qu’ils mettent en avant touchant la gravité de leur langage. H. Estienne, Precellence, p. 45. — Le travail de son esprit bandé… à concilier les repugnances et contrarietez des lois. Vauquelin de la Fresnaye, Orais. fun. de J. Rouxel.

Tourner s’emploie souvent pour changer. Il a aussi le sens de traduire, et tourneur celui de traducteur : Daphné fille de Penee Qui en plante fus tournee Pour te sauver d’Apollon. Am. Jamyn, Poés., L. V, 237 vo. — Garde et regarde que tu ays autant parfaite congnoissance de l’idiome de l’autheur que tu entreprendras tourner, comme de celuy auquel tu delibereras le traduire. Sebillet, Art poétique, II, 14. — Tousjours l’autheur vers soy la gloire ameine, Et le tourneur n’en retient que la peine. La Boetie, Vers franç., à Marguerite de Carle. — Traducteur était alors tout nouveau, et moins usité que translateur.

Rompre était bien comme aujourd’hui synonyme de briser, mais il était aussi synonyme de déchirer : A ses souspirs la bride elle destache, Rompt ses habits, ses cheveux elle arrache. Ronsard, Franciade, 3.

Usité avait le sens d’habitué, exercé, et inusité de non habitué : Les Massagetes… combatent à pied et à cheval, car ilz sont usitez aux deux. Saliat, trad. d’Hérodote, I, 215. — Un petit sommeil… Coula dedans mes yeux inusitez au somme. R. Garnier, Cornélie, 675.

On verra dans les pages suivantes encore beaucoup d’autres mots dans lesquels s’est effacée la synonymie, car ce fait est un des plus importants qui se soient produits dans l’évolution de notre vocabulaire.

Certains mots se prêtaient aux changements de sens avec une particulière facilité c’étaient ceux qui avaient des significations très variées. La grande étendue de leur sens faisait qu’ils se prêtaient aisément a des emplois nouveaux. Mais aussi la multiplicité de leurs emplois les empêchait de s’attacher solidement à l’expression des diverses idées auxquelles ils répondaient. Le rapport du mot à l’idée se rompait aussi facilement qu’il s’était établi. Le lexique français contient toujours un assez grand nombre de mots de cette catégorie. Quoique notre langue n’ait plus son instabilité d’autrefois, il semble que pour ceux-là le mouvement de va-et-vient n’ait pas tout à fait cessé.

Action, mot encore si large aujourd’hui, a pourtant perdu plusieurs de ses anciens sens, par exemple ceux de contenance, attitude, de cérémonie, de discours : Sa face pleine de Majesté, son port et son action, le feroient assez reconnoistre pour Roy, en quelque solitude qu’on le trouvast. Du Vair, Har. au Parlem. de Bordeaux, 1620. — Ceste action publique que nous celebrons pour honorer la memoire du grand Philippe Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur. St  François de Sales, Orais. fun. du duc de Mercœur. —