Page:Dictionnaire de la langue française du seizième siècle-Huguet-Tome1.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ixx
préface

fique, odorifique, stellifique, venefique. Ceux-là ne sont pas à regretter. Pour la plupart, d’ailleurs, ils étaient d’un emploi peu étendu, souvent forgés pour la circonstance, ou même par plaisanterie.

Un dictionnaire de la langue du xvie siècle ne doit pas oublier les locutions proverbiales et figurées que nous avons perdues. Elles ont un grand intérêt, car nous y trouvons toute la vie d’autrefois, et nulle part nous ne voyons mieux marqué l’esprit de nos ancêtres. Tout ce qui les occupait, tout ce qui tenait une place dans leur existence avait fourni son contingent. Nous n’avons pas tout perdu d’ailleurs, et ces expressions, que le plus souvent nous employons sans penser à leur origine, sont une des plus précieuses richesses de notre langue.

La religion avait beaucoup donné : vrai comme la messe, vrai comme la patenostre se disait d’une vérité incontestable. Vouloir corriger le magnificat, c’était avoir la prétention d’améliorer ce qui est parfait. Le tu autem, c’était dans une affaire le point important, en souvenir du bréviaire : tu autem, Domine, miserere mei. L’expression estourdy comme le premier coup de matines nous rappelle les moines s’éveillant péniblement pour se rendre à l’office. Se rendre au premier coup de matines, c’était céder à la première sommation ; chanter magnificat à matines, faire une chose mal à propos. Un bénéfice à simple tonsure, littéralement c’était celui qu’on pouvait obtenir sans avoir reçu les ordres, pour lequel il suffisait d’avoir été tonsuré. Au figuré, l’expression à simple tonsure s’appliquait à un personnage de qualité inférieure, et particulièrement à un homme ou à une femme de médiocre noblesse. Mettre quelqu’un ou quelque chose au rang des péchés oubliés, ou des péchés effacés, c’était rien faire aucun cas, ne pas s’en soucier plus que des péchés dont on n’a pas même gardé le souvenir, ou de ceux qui ont été effacés par l’absolution. Vouloir vendre ses coquilles à ceux qui viennent du mont Saint-Michel, ou, par abréviation, vendre ses coquilles, c’était offrir une chose à ceux qui en étaient déjà pourvus, qui n’en avaient pas besoin, vouloir en remontrer à de plus habiles, ou tromper plus fin que soi. Un évêque des champs, c’était un pendu, semblant donner avec les pieds la bénédiction aux passants. Fouetter à double carillon, c’était fouetter à coups nombreux et pressés.

Les jeux avaient fourni de nombreuses expressions. Le mot pelote étant un de ceux qui désignaient la balle au jeu de paume, on disait se jouer de quelqu’un ou de quelque chose comme d’une pelote. Un autre nom de la balle était esteuf, jouer un esteuf à quelqu’un, c’était lui jouer un tour. Renvoyer l’esteuf signifiait riposter ; se jeter l’esteuf, se donner un mutuel appui ; suivre son esteuf, continuer comme on a commencé ; courir après son esteuf, chercher un avantage incertain, ou s’efforcer de ravoir ce qu’on a laissé échapper. Ma droite balle signifiait ce qui me convient le mieux. Le mot chasse désignait le lancement de la balle par un loueur, et par extension la chute de la balle à telle ou telle place ; marquer une chasse, c’était donc noter avec précision une action qui venait d’être faite, remarquer exactement une chose. Une chasse morte, c’était une chose qui ne comptait pas, un coup perdu, une entreprise manquée, un événement qui n’avait pas de suite. On gagnait ou on perdait une chasse selon qu’on lançait la balle avec plus ou moins de succès que l’adversaire gagner une chasse signifiait donc emporter un avantage. Au jeu de boules, tenir pied à boule, c’était tenir le pied posé près de l’endroit où la boule s’était arrêtée ; au figuré, ne pas s’écarter d’un lieu, ou bien rester attaché avec persévé-