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préface


vouloir abaisser ta barrière qui s’élève entre la langue française proprement dite et ses dialectes. Mais l’expérience a démontré que les mots dialectaux ne peuvent guère prendre place dans la langue commune. Ils peuvent s’y faire accepter momentanément pour désigner un objet, un usage particulier à telle ou telle province, quand leur équivalent précis ne pourrait être trouvé dans la langue usuelle. Mais ils restent provinciaux, ce sont toujours des mots de terroir. Un écrivain aimé du public arrive à faire prendre en gré les mots de sa province, on les rencontre chez lui avec plaisir, mais on serait surpris de les retrouver ailleurs. Aussi parmi les mots disparus depuis le xvie siècle nous verrons figurer à peu près tous les mots dialectaux que l’on avait essayé de sauver.

Une large place dans ce dictionnaire sera occupée par des mots d’emprunt qui, après un séjour plus ou moins long dans notre langue, en ont été exclus. Les deux sources les plus abondantes sont le latin et l’italien.

L’invasion du latin savant remonte beaucoup plus loin que le xvie siècle. On la constate déjà dans nos plus anciens textes. Mais à partir du xive siècle surtout, sous l’influence des traducteurs, les mots latins, utiles ou non, affluent dans notre langue. Il est bien difficile d’indiquer avec certitude en quel siècle se produit chaque emprunt. De ce que la présence d’un mot a été constatée pour la première fois dans un texte du xvie siècle, il ne s’ensuit, pas qu’il n’ait jamais été employé auparavant. Beaucoup de textes du moyen âge sont perdus, et nous sommes loin d’avoir étudié tous ceux qui nous restent. Par contre, on peut avoir remarqué l’emploi d’un mot au xive siècle ou au xve siècle sans que cela nous donne le droit de croire qu’il ait été vraiment vivant au temps de sa première apparition. Il a pu se présenter par hasard sous la plume d’un écrivain et attendre un siècle ou deux qu’on eût de nouveau besoin de lui.

Qu’ils soient tout récents ou qu’ils aient quelque ancienneté, très nombreux sont au xvie siècle les mots latins destinés à périr. On latinisait à plaisir, sans la moindre nécessité. Sans remonter plus haut que le début du xvie siècle, on peut voir chez Lemaire de Belges les mots latins jetés à profusion. Pendant longtemps, en vers ou en prose, on parle comme l’écolier limousin. Et ce ne sont pas seulement les gens de Palais, comme Jean Bouchet, qui émaillent ainsi leur style de mots dont la terminaison seule est française ce sont aussi des écrivains qui n’ont jamais passé pour des latiniseurs maniaques, Clément Marot par exemple. Il serait tout à fait injuste de rendre la Pléiade responsable de cet abus, qu’elle a au contraire atténué. Agrippa d’Aubigné, dans la préface des Tragiques, raconte que Ronsard était l’ennemi déclaré des latiniseurs[1]. Déjà,

    qu’en certains endroits de la France. Et ceux mesmement qui escrivent en prose, peuvent quelques fois prendre ceste liberté. » H. Estienne, Precellence, p. 168.

    « L’idiome Norman, l’Angevin, le Manceau,
    Le François, le Picard, le poli Tourangeau
    Apprens, comme les mots de tous arts mecaniques
    Pour en orner après tes phrases poétiques. »


    Vauquelin de la Fresnaye, Art poétique, I, 361-64.

    Mais Vauquelin n’admet pas les mots du Midi, qui appartiennent vraiment à une autre langue. Voir Art poétique, II, 903-910.

  1. « Le bonhomme Ronsard… disoit quelquefois… : Mes enfants, deffendez vostre mere de ceux qui veulent faire servante une Damoyselle de bonne maison. Il y a des vocables qui sont François natu-