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viii
préface

planté se prononçaient de la même façon. — Baud, joyeux, disparaît au xvie siècle, du moins dans la seconde moitié : l’e de beau étant devenu de plus en plus imperceptible, les deux adjectifs devaient facilement se confondre. — L’adjectif mane, devenu manque, mutilé, défectueux, disparaît parce que d’Italie est venu le verbe manquer, d’où nous avons tiré le substantif manque. — Ord cesse d’être employé, quoique son dérivé, ordure, se maintienne. — Souef, doux, et soif s’étaient peu à peu rejoints dans la prononciation. De là peut-être la préférence que suave obtient, dès son apparition, au détriment du mot populaire. — Duire, instruire, et duire, conduire, puis plaire, convenir, malgré leur différence d’origine, arrivent à une identité complète et succombent tous les deux, le second se maintenant toutefois dans les composés. — Esmer, esme sont remplacés par leurs doublets, estimer et estime, peut-être parce que dans la forme et dans la prononciation ils sont venus à rencontrer le verbe amer, si différent dans notre plus ancienne langue, surtout dans les formes à radical atone. — Nouer, nager, est tout à fait semblable à nouer venant de nodare. Mais nager, venant de navigare et signifiant naviguer, cède cette signification au mot savant, prend celle que nous lui connaissons, et nouer, nager, n’est plus nécessaire. Rayer, briller, de radiare, est identique à rayer venant de raie : de nombreux synonymes permettent de le laisser tomber en désuétude. Ces faits et beaucoup d’autres que je pourrais citer permettent de croire que, dans le grand travail qui s’est accompli sut notre vocabulaire, le rôle de l’homonymie n’a pas été sans importance.

Une cause de mortalité particulière aux verbes, c’est la difficulté de leur conjugaison. Elle nous a fait perdre beaucoup de vieux verbes qui s’employaient encore au xvie siècle. Un verbe irrégulier court le risque de se voir abandonné, à moins que, comme être, aller, et quelques autres, il ne soit d’un usage si fréquent que tout le monde s’habitue dès l’enfance à ses irrégularités. On hésite à employer une forme dont on n’est pas bien sûr, ou qui pourrait n’être pas reconnue et comprise par l’interlocuteur. On a volontiers recours, surtout dans la conversation, à un verbe plus commode, qui souvent est fourni par le même radical. C’est ainsi que raire, après une longue résistance, finit par être remplacé par raser. Secourir passe à la première conjugaison et devient secouer. Tistre devient tisser et ne subsiste plus que dans son participe passé tissu, ainsi que dans les formes qui lui étaient communes avec la première conjugaison. — Le plus souvent c’est un autre radical qui nous donne le nouveau verbe. Issir est remplacé par sortir : la cause de sa disparition, c’est son manque de consistance, sa prononciation étant parfois réduite à un son unique ; le lien entre les différentes formes n’est pas assez visible. On ne peut plus dire que clore, ouïr soient vraiment vivants. Dans l’usage courant fermer et entendre les ont remplacés et ont abandonné pour cela leur signification primitive. Cuir ne survit plus que dans quelques formes. Traire, dans son sens général, a fait place à tirer, et ses composés distraire, extraire, soustraire, etc., sont, comme lui, dépourvus de passé défini. Occire ne conserve un semblant de vie que dans son infinitif et dans son participe passé : c’est que la conjugaison de tuer est infiniment plus facile.

Un grand nombre de mots, usités au xvie siècle, ont été abandonnés depuis parce que l’on n’avait plus besoin d’eux. C’est le cas des mots qui désignaient des objets qui ont cessé d’exister : le costume, les armes, par exemple, nous en fourniraient une longue liste. Parfois les mots survivent aux choses : ainsi fusil vit toujours, quoique dans l’arme moderne ne se trouve plus la pièce à laquelle l’arme ancienne devait son nom. Le mot cuirasse a subsisté quand l’acier s’est substitué au cuir. Mais le plus souvent le nom dis-