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732 FRANCE parcourue. Nous ne dirons rien de sa iiersonnalité, bien qu'elle puisse en de cerlains points expli<|uor sos oeuvres. La francliisc de la passion est le caractère dislinclK de son talent. Un sentiment une fois donni', George Sand ne marchande pas avec les consi'quences. Sa los'que impitoyable les mène jusqu'au bout, et ne connaît pas les transactions. Georf;e Sand a déjà beaucoup écrit, et toutes ses oeuvres peuvent se diviser en deux parties. Dans la première, la meilleure sans contredit, elle semble s'être donné la mission d'attaquer le mariage et de prouver la supériorité intellectuelle et morale de la femme sur l'Iiomnae. Les sentiments de l'auteur se modifièrent; les doctrines démocratiques s'emparèrent de son esprit, se combinèrent avec ses anciennes idées. Puis, l'auteur s'en jonçant de plus en plus dans la démocratie, ses livres reproduisent des doctrines philosophiques et religieuses qui s'accommodent mal de la forme du roman, et lui nuisent considérablement, tout en se montrant confuses et mal déduites. Enfin, George Sand sembla vouloir se défaire de ce bagage incommode, et revenir à son ancienne manière. Elle trouva des accents pleins de fraîcheur dans dos romans champêtres, et porta les moeurs et le langage des paysans sur le théâtre. George Sand est un grand écrivain, le plus artiste sans contredit de tous ceux qui écrivent des romans. Son style est nerveux et limpide ; jamais des images outrées ou ambitieuses ne font tache sur la trame serrée de sa phrase. Le seul défaut qu'on lui puisse reprocher, c'est de temps à autre un peu de déclamation ; même à ces moments, l'emphase se trouve plus dans la pensée que dans les mots. Nous ne saurions trop conseiller à quelques rivaux do l'étudier, ils ne pourraient qu'y gagner. M. Alexandre Dumas jouit d'une popularité plus étendue. A vrai dire, M. Dumas a plus de partisans dans les masses que parmi les esprits délicats. Cela vient de la position qu'il a prise. Balzac recherche l'exactitude de l'observation ; il s'efforce de reproduire avec vérité ce qu'il a étudié. M. Eugène Sue combat le mal social et en poursuit la réforme; Geort;e Sand attaque le mariage , et prend en main la cause de la (emme et celle du peuple ; tous ont un but et veulent prouver quelque chose. M. Dumas ne veut être qu'un amuseur public; il a pleinement réussi. Tout ce qu'il écrit est avidement recherché

les journaux le mirent à l'enchère, et deux des plus

riches, dans l'impuissance de pouvoir .se l'approprier exclusi- Temeut, finirent par se le partager. M. Dumas, il faut le reconnaître, est tout à fait propre au rôle qu'il a choisi. Son imagination n'est jamais lasse; incessamment sollicitée, elle est toujours prête. Les volumes publiés par l'inépuisable auteur composeraient une bibliothèque. Cependant, ses derniers écrits ont autant de verve et d'entrain que les premiers. La verve n'est pas toujours de bon aloi, la plaisanterie est souvent de mauvais goût; mais elle a toujours une certaine vitalité qui la fait passer. M. Dumas a ressuscité le roman d'aventure, en le modifiant. Aucune leçon, aucune vérité ne ressort des situations. Ses héros courent les aventures pour les aventures elles-mêmes. Les duels, les défis, les courses nocturnes, les imbroglios, tout ce qui compose enfin ce genre d'ouvrages se mêle sous sa plume avec une vivacité charmante, une fougue qui entraîne ; parvenu au bout du livre, il ne faut pas se demander ce qu'on a retiré d'une semblable lecture : on a passé le temps. Nous disions que le roman avait tous les caractères du drame. M. Dumas, plus que tout autre, a contribué à ce résultat. Habitué à la forme théâtrale, peu à peu le récit sous sa plume a disparu pour faire place au dialogue; les événements ont pris une tournure dramatique; les situations se sont pressées; enfin, moins la représentalion, le roman est devenu un drame véritable. Le sensualisme en outre a passé de la scèue dans les compositions littéraires de l'auteur. Les héros de M. Dumas procèdent dans le livre de la même manière que sur le théâtre, et recherchent la satisfaction de leurs passions. C'est dans la nature Humaine sans doute, mais toute la nature humaine n'est pas là, et nous ne voyons pas de motifs pour en négliger les tôtés plus nobles et moins matériels. M. Dumas offre le spectacle de facultés littéraires remarquables déplorablement employées. Personne plus que lui n'a été doué de spcmtanéité et d'invention ; il n"a pas su les modérer pour en doubler la puissance. Pressé par les libraires avides d'exploiter ses succès, M. Dumas s'est lai.-isé aller peu à peu au mercantilisme, et a fini par ouvrir un atelier de littérature. Malgré la facilité d'improvisation qui le caractérise, il ne pouvait suffire à toutes les demandes; il a pris des collaborateuis, et s'est fait industriel. Quand .son atelier a été organisé, c'a été un débordement littéraire. 11 y a eu un moment où nous avons compté jusqu'à cinq journaux qui tous les matins publiaient des feuilletons signés de sou nom. De plus, en homme économe, il s'est mis à convertir ses drames en romans et ses romans en drames, tiiant ainsi double profit de la même idée. Sun exemple a été pernicieux, et s'est étendu. D'autres écrivains l'ont imité. La concurrence s'est établie, et le roman-leuillelon a continué à perdre de sa valeur. Le dernier des romanciers populaires est Frédéric Soulié. Soulié est le romancier des passions violentes. Ses livres peuvent faire concurrence à la Gazette des Tribunaux. Les viols, les meurtres, les empoisonnements, y tiennent une longue place. On y respire une odeur de .sang et de mort. A lire ses ouvrages, on dirait qu'il ne voit la société qu'à travers la cour d'assises. Nous reprochions à M. Dumas la brutalité sensuelle de ses personnages; sur ce point Soulié le dépasse. Ses héros n'ont qu'un moyen d'atteindre à leurs désirs, la violence. Suivant leur énergie ou leur position, ils emploient le poignard ou le poison. Hommes, femmes, vieillards, jeunes gens, ont les mêmes instincts, les mêmes allures. L'âme n'a pas un instant de paix où se reposer des crimes qui la tiennent haletante. Le repos n'est qu'au bout de l'ouvrage, après le meurtre du dernier personnage. Après ces romanciers, il serait injuste d'oublier M. Méri m ée. Mais grâce à Dieu et à la révolution de Février le roman est à l'agonie. Ce qui semble devoir dans l'avenir être le caractère honorable du dix-neuvième siècle , c'est le mouvement historique qui a porté les esprits vers l'étude des documents nationaux. Plusieurs causes ont déterminé ce mouvement; mais la principale, celle qui àelleseuleaplusinfiué que toutes les autres réunies , c'est la passion politique. Deux partis se trouvaient en présence et se disputaient le monde. Tous denx , à l'appui de leurs opinions, s'empressaient d'aller chercher dans le passé des exemples déjà consacrés. Libéraux et royalistes se mirent donc à l'envi à fouiller les chroniques et les bibliothèques, à déchiffrer les chartes, à compulser les parchemins. Les uns et les autres poursuivaient un double but. Ils voulaient convaincre leurs adversaires de mensonge ou tout au moins d'erreur, et appuyer leurs propres théories sur des faits déjà sanctionnés. Une partie des découvertes était employée dans la polémique journalière; mais les résultats n'en demeuraient pas moins acquis à la science. L'étude des sources fit bien vite reconnaître que les histoires de France écrites jusque alors n'en avaient que le nom ; les faits et les personnages étaient défigurés , et ramenés à un certain modèle aussi éloigné de la vérité que de la vraisemblance ; les deux premières races surtout étaient les plus maltraitées. Bien des esprits qui avaient commencé des recherches dans un sens politique les continuèrent dans un sens purement historique. Nous ne citerons panni ceux-là que l'illustre auteur de l'Histoire de la Conquête d'Angleterre par les Normands et des Lettres sur l'histoire de France. Des oeuvres remarquables parurent coup sur coup. Dans son Histoire des Ducs de Bourgogne , M. de Barante traça le tableau splendide et dramatique de la France pendant les deux siècles qui ferment le moyen âge. Pendant que M. Guizot retrouvait les origines de la civilisation moderne et expliquait la marche de l'esprit humain depuis la chute de l'Empire Romain , M. Augustin Thierry exposait le mouvement communal et le réveil de l'esprit démocratique. Son frère, M. Amédée Thierry, retrouvait les titres