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mier s’établit non loin de Bridgewater, où il se lia d’amitié avec Wordsworth ; mais, n’ayant point de plan de vie arrêté, il ne tarda pas à tomber dans la gène. Heureusement, il rencontra dans les fils du célèbre Wedgwood des protecteurs qui le mirent à même d’aller perfectionner ses études en Allemagne. Il s’y lia avec Tieck et quelques autres hommes célèbres, et suivit à Gœtlingue les cours de Blumenbach et d’Eichhorn. À son retour en Angleterre, une métamorphose complète s’était opérée dans ses idées et ses principes politiques. Il se chargea d’écrire les articles de polémique du journal ministériel le Morning-Post ; plus tard il accepta la direction politique et littéraire d’une autre feuille du pouvoir, le Courier, et jusqu’à la fin de ses jours il resta aussi zélé conservateur qu’il s’était auparavant montré ardent républicain. Par la suite il accompagna en qualité de secrétaire particulier sir Alexandre Ball, envoyé à Malte comme gouverneur ; mais il s’en revint sans avoir pu y obtenir d’emploi fixe. Il recourut alors de nouveau aux lettres, et il a parfaitement peint dans sa biographie toutes les tribulations de la vie littéraire.

Les lectures publiques qu’il se mit à faire sur la littérature ne furent pour lui que très-faiblement productives ; et il dut s’estimer heureux, vers la fin de sa vie, d’obtenir de la couronne une petite pension. Il mourut à Highgate, le 25 juillet 1834. Coleridge, qui fit partie de cette école poétique dont Wordsworth, Southey, Wilson et lui furent les représentants les plus distingués, et que les Anglais appellent l’École des Lacs, parce que la plupart de ses adeptes ont habité sur les bords des lacs du Westmoreland et du Cumberland ; Coleridge, disons-nous, passe chez ses compatriotes pour un génie poétique sauvage, bizarre ; il avait une grande prédilection pour la littérature allemande, et vénérait particulièrement Schiller et Gœthe. La critique allemande ne lui était pas non plus étrangère, et dans ses maximes esthétiques il paraît appartenir à la célèbre école de Schlegel. Après s’être montré un des plus chauds partisans de la révolution française, il ne changea d’opinion en politique que pour devenir ardent révolutionnaire en littérature, appelant la jeunesse à mépriser les écrivains considérés jusque alors comme classiques, et à adorer l’élément national britannique. Sa conversation piquante et animée était constamment empreinte de cette préoccupation, qui allait chez lui jusqu’à la manie, et qui le poussait à ne parler de la littérature française que dans les termes de la plus profonde antipathie. Son poëme intitulé Christabel offre de beaux passages, où l’on retrouve l’écho mystérieux du monde des légendes ; et ses Rhymes of an ancient Mariner passent en Angleterre pour le chef-d’œuvre de la ballade. Il est évident que Coleridge exerça une influence décisive sur la direction d’idées de Walter Scott et de Byron. Ses Poetical Works ont été réunis en trois volumes (Londres, 1828). On a aussi de lui The Statesman’s Manual, a lay sermon (Londres, 1816) ; A second lay Sermon (1817) ; Aids to Reflection (1825) ; On the Constitution of the Church and State (1830). Il n’a point exécuté le plan qu’il avait conçu d’un grand poëme sur la Destruction de Jérusalem, qu’il considérait comme le seul sujet propre aujourd’hui à une épopée. Watson a publié une Theory of Life, ouvrage trouvé dans ses papiers (Londres, 1849) ; et on a réuni sous le titre de Table-Talk une partie de sa correspondance.

Coleridge a laissé en mourant deux fils, dont l’aîné, Hastley Coleridge, mort le 6 janvier 1849, à Rydal en Westmoreland, avait hérité en partie du génie poétique de son père, mais joint à un caractère encore plus aigri et inconstant. Les dispositions qu’enfant il annonçait déjà pour la poésie firent concevoir les plus brillantes espérances ; mais il ne les réalisa qu’incomplètement. Il appartenait en effet à ces plantes de serres chaudes qui n’arrivent pas à l’entier développement de leurs forces, à cause même des soins excessifs dont on entoure leur premier âge. Cependant on trouve encore dans ses Poems (Londres, 1833) des morceaux qui appartiennent aux meilleures productions de la littérature anglaise. On a aussi de lui, en prose, Biographia Borealis, or lives of distinguished northmen (1833) et The Worties of Yorkshire and Lancashire (1836). Son frère a publié une édition de ses Essays and marginalia (2 vol., 1851) et de ses Poems (2 vol., 1851).


COLET (Mme Louise), née Révoil, à Aix en Provence, dans l’une des six premières années de ce siècle, débuta à Paris en 1836 par un recueil de 20 feuilles, intitulé : Fleurs du Midi, poésies, qui n’eut qu’un médiocre retentissement. Ces Fleurs du Midi parurent peu différentes de ces buissons de fleurs poétiques des quatre points cardinaux que Paris voit éclore à toutes les saisons. À la faveur de son bouquet, Mme  Louis Colet fut toutefois produite dans le monde, surtout dans le monde officiel. Elle y fit des lectures ; M. Teste la complimenta ; des académiciens de toutes les écoles lui prodiguèrent l’éloge. Elle passa à l’état de quatorzième ou quinzième muse, à la suite de Mmes  Amable Tastu, Desbordes-Valmore, Émile de Girardin, Anaïs Ségalas et Mélanie Waldor ; puis elle porta vers et prose, comme un oranger porte fleurs et fruits. Nous eûmes d’elle en 1839 Penserosa, 24 feuilles de poésies nouvelles ; une imitation en vers de La Tempête de Shakspeare, dans la collection de M. O’-Sullivan, en 1840 ; les Funérailles de Napoléon, en vers, à la fin de la même année ; et la Jeunesse de Mirabeau, roman en prose des plus scabreux.

Ce fut vers ce temps qu’il se fit un changement extraordinaire en Mme  Colet, et que se développèrent chez elle une irritation et une violence toutes masculines : elle devint un vrai lion. On attribue à la critique cette métamorphose d’une femme aimable et douce jusque là. En 1841 le genus irritabile vatum ou la virtus bellica de Mme  Colet ne connut plus de bornes. M. Alphonse Karr ayant, dans ses Guêpes, parlé d’elle en des termes qui lui déplurent, elle lui demanda, nouvelle Charlotte Corday, un rendez-vous, ou plutôt elle l’attendit à sa porte, et le frappa d’un couteau, qui, heureusement pour elle et pour lui, poussé d’une main peu ferme, ne fit que transpercer le paletot de l’auteur des Guêpes. Cette ardeur d’héroïne se manifesta une fois encore cette même année : un jour du mois de septembre, ayant rencontré dans la rue un jeune littérateur de ses parents, avec lequel elle avait eu maille à partir, et qui croyait avoir des raisons de ne pas la saluer, notre Sapho moderne, outrée de cette irrévérence, s’avança vers l’insolent, et lui décocha le plus beau soufflet qui, de main et de mémoire de muse, ait été appliqué sur une joue masculine. À la nouvelle de ce haut fait, un illustre philosophe improvisa immédiatement, dit-on, pour l’héroïque bas-bleu cette devise latine : Maxime sum mulier ; sed sicut vir ago.

Mme Colet n’en persista pas moins dans sa voie poétique, encouragée par d’illustres suffrages. Les indemnités ministérielles et académiques ne l’abandonnèrent point, et sa renommée alla croissant. Une édition de luxe des Œuvres complètes de Mme Colet, en un format inusité, un fort volume in-4° de 69 feuilles et l|2, avec fac-simile, parut en 1842. À l’énoncé du titre de cette édition dans le Journal de la Librairie, M. Beuchot ajoute : « tiré à 25 exemplaires numérotés. L’éditeur anonyme en a gardé un seul, et a envoyé les autres à Mme Colet, pour être offerts par elle aux souverains et aux sommités intellectuelles. » C’était là certes agir royalement, et nous regrettons qu’un si magnifique éditeur ait cru devoir garder l’anonyme. Un extrait, comme specimen, de cette édition, formant à lui seul un assez fort volume de 29 feuilles, fut tiré en sus à 24 exemplaires, sous le titre de Charlotte Corday et madame Roland, tableaux dramatiques, par Mme Louise Colet. Il fut fait la même année, pour la vente, une autre édition de Charlotte Corday et madame Roland. Nous sommes en mesure de mentionner encore : les Cœurs brisés (1843,