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ROMAINS (ÉPÎTRE AUX)


disciples de Paul, qui exposaient un autre évangile que celui entendu jusqu'à ce jour, par les néophytes d’origine juive. Saint Paul avait pris la plume pour soutenir les siens. Quelques aimées apTès, ThoYuck présenta l'Épître aux Romains comme un écrit destiné à prouver la valeur de la doctrine chrétienne, en. tant que seule capable de répondre aux besoins du cœur humain, besoins que n’avaient pu satisfaire ni le paganisme, ni le judaïsme. Sauf quelques variantes, le même point de vue a été développé par Reiche, Glôckler, Kolner, de Welte, qui précisent ainsi le but de l'Épitre : proclamer l'Évangile, comme la religion universelle dans la capitale du inonde. Olshausen part de cette même idée pour commenter toute l'Épître ; Meyer, à son tour, pense, avec Fritzche et Baumgarten-Crusius, que l’Apôtre a voulu suppléer, par la plume, à l’impossibilité actuelle où il se trouvait de leur annoncer de bouche son Évangile. On arrive ainsi à 1836. À ce moment, Baur, dans Ueber Zweck und Veranlassu/ng des Rômerbrief, paru dans Tùbingen Zeitschrift, 1836, complété plus tard par Ueber.Zweck und Gedankengang des Rômerbrief., dans Theol. Jahrbùcher, 1849, reprit sur une nouvelle base l'étude de la question. Il crut découvrir, dans les c. ix-xi, jusque-là regardés comme une sorte de digression, la pensée dominante de l'Épître tout entière. Là saint Paul semblait aller au-devant d’un reproche ou plutôt d’une inquiétude qu’aurait fait naître, dans la majorité judéo-chrétienne de la communauté romaine, sa large tolérance à l'égard des gentils qu’il admettait dans l'Église avant que le peuple élu y fut lui-même entré, lui à qui le salut messianique avait été promis tout d’abord. Tel est le préjugé auquel l’Apôtre veut répondre avant de commencer son nouveau ministère en Occident. Dans une belle page de philosophie de l’histoire, il esquisse, à grands traits, les desseins de Dieu pour la réalisation du salut dans l’humanité ; le rejet actuel des Juifs n’est que momentané ; c’est un moyen voulu de Dieu pour opérer plus facilemementla conversion du monde païen qui, une fois accomplie, ouvrira les voies à la réhabilitation finale d’Israël. Le reste de l'Épître est subordonné à cette idée principale. Les huit chapitres qui précèdent ix-xi, c’est-à-dire, la théorie de la justification par la foi, servent de support à cette histoire du salut. Cette manière nouvelle d’envisager l'Épitre aux Romains avait l’avantage de relier cet écrit important à l’ensemble de l'œuvre apostolique de son auteur, en lui assignant un rôle historique nettement caractérisé ; aussi devient-elle prédominante parmi les critiques, surtout dans l'école de Tubingue. — Reuss, pourtant, ne s’y rallia qu’en partie. Comme Baur, il attribue à la majorité de la communauté romaine une origine et une tendance judéo-chrétienne, mais il refuse de considérer les c. ix-xi comme la partie essentielle de l’Epître. Le vrai but de saint Paul a été ; en exposant son évangile universaliste, d'établir un lien spirituel entre cette Église et lui, afin qu’en arrivant à Rome il trouve un point d’appui pour ses missions d’Occident. — Ewald écrit, à son tour, une hypothèse qui est restée sans partisans. D’après lui, l’Apôtre prévoyant, dix ans à l’avance, les soulèvements de l’an 68-70, auraitécritaux fidèles de Rome pour rompre le lien trop étroit qui existait là entré l'Église et la Synagogue. Le c. xii, 1-8, donnerait ainsi la clef de toute lalettre. Le reste ne serait qu’accessoire. — Bleek a repris les explications iréniques, c’est-à-dire l’idée d’un but de pacification entre les deux partis dont se composait alors l'Église de Rome. Mangold essaya à deux reprises, de fortifier, en le modifiant, le pointde vue de Baur, Der Rômerbr. und die Anfânge der rôm. Gemeinde, 1866 ; puis Der RSmerbr. und seine geschichtlichen Voraussetzungen, 1884. — Ritschl et Sabatier arrivèrent, de leur côté, aux mêmes conclusions, si bien qu’en 1876, J. H. Holtz mann déclarait que l’idée de Baur avait complètement triomphé parmi les savants. Mais en 1876 une réaction se produisit à la suite de l’apparition du travail de Weiisàckev, Ueber die atteste rôm. Gemeinde, dans les Jahrb. ꝟ. deutsch. Theol., 1876, où l’on admettait, dans la communauté romaine, une majorité ethnicochrétienne, ce qui ruinait par la base toutes les suppositions de Baur. Bon nombre de critiques, Harnack et Grafe, entre autres, adoptèrent ces vues nouvelles. Reuss lui-même, dans son dernier ouvrage, La Bible commentée, les Épitres pauliniennes, modifia complètement ses premières conclusions et ne vit plus, dans Ttpltre aux Romains, qu’un écrit exempt de toute polémique, moins destiné à l'Église de Rome qu'à l'Église tout entière. Si l’Apôtre l’a adressée à cette Église particulière, c’est moins pour répondre à un besoin spécial de cette Église que pour faire de celle-ci le foyer de lumière de l’Occident. Depuis plusieurs aimées déjà, Renan, Saint Paul, p. 460, avait exprimé une idée analogue : « Paul profita d’un petit intervalle de repos pour écrire sous forme d'épître une sorte de résumé de sa doctrine théologique. Il l’adressa à l'Église de Rome, composée d'Ébionites et de judéo-chrétiens et aussi de prosélytes et de païens convertis, et comme un tel exposé intéressait foute la chrétienté, il l’envoya en même temps à la plupart des Eglises qu’il avait fondées. » Oltramare, dans son Commentaire sur l'Épître aux Romains, p. 43, 77-78, dit que saint Paul n’a pas voulu tomber chez les Romains comme à l’improviste et sans s'être annoncé. « Voulant prendre l'Église de Rome pour son point d’appui dans l'évangélisation de l’Occident, il a pensé que le meilleur moyen de se procurer un bon accueil auprès d’elle était de lui adresser ce grand manifeste évangélique, qui pourrait servir en même temps, auprès de plusieurs, de prédication d’appel. » Weiss, dans la 6e édition du commentaire de Meyer, n’est pas éloigné d’accepter cette explication. En 1891, Lipsius, Handcommentar zum N. T., persiste à croire, avec Schùrer, que l’impression totale qui se dégage de l'Épître aux Romains, ne permet pas de douter qu’elle ne soit adressée à des judéo-chrétiens. Seulement c’est un judéo-christianisme déjà à moitié hellénisé, bien éloigné de Pétroitesse du parti judaïsant. L’intention de saint Paul aurait été de corriger cette teinte légère de judaïsme en exposant, d’une façon magistrale, la conception chrétienne. Après une étude approfondie de la question, suivie d’une critique détaillée des diverses opinions émises dans toutes les écoles, Godet résume ainsi ses conclusions : « Assurément, je ne le conteste point, l’Apôtre a voulu par cette lettre préparer son arrivée à Rome ; par elle il a travaillé à munir puissamment cette Église contre l’oppression prévue du judéo-christianisme ; par elle aussi il a pu contribuer à l’union des éléments opposés qui se trouvaient dans l'Église et en particulier renverser les préjugées judaïques d’une partie de ses membres et les pensées d’orgueil qui germaient dans l’esprit du parti opposé. Tout cela, ce sont bien des effets voulus de la lettre. Mais la vraie circonstance qui y a donné lieu, a été le manque d’un enseignement solide posé à la base de l'édifice, et le vrai but que Paul s’est proposé, a été, comme il l’a indiqué lui-même, celui d’affermir cet édifice important, que pouvait faire écrouler la première secousse. » Introd. au Nouv. Test., 1893, p. 464. Cette dernière opinion paraît être celle qui concilie le mieux les deux aspects particuliers sous lesquels se présente l'Épître aux Romains : le point de vue historique et le point de vue dogmatique. C’est en exagérant tour à tour l’un au préjudice de l’autre que l’on est arrivé aux hypothèses diverses exposées plus haut. L'Épitre aux Romains est, au fond, d’une nature spéciale qui n’est ni un traité didactique ex professo ni une simple lettre au sens ordinaire du mot, mais qui participe à la fois,