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ROMAINS (EPÎTRE AUX)


Les commencements de l'Église de Rome sont obscurs. Les premiersprédicateurs de la foi dans cette ville furent sans doute des Juifs convertis, comme Àquila et Priscille et plusieurs autres que nomme saint Paul. Rom., xvi, 3-15. Sur la date de l’arrivée de saint Pierre à Rome, voir Pierre, col. 373. D’après l’opinion traditionnelle la plus répandue, le prince des apôtres était allé à Rome, avant l’envoi de l'ÉpUre de saint Paul aux Romains, mais il ne devait pas se trouver dans la capitale de l’Empire quand elle leur fut adressée, puisqu’il n’y est point nommé. La plupart des premiers chrétiens de Rome devaient être Juifs d’origine, la minorité se composant de Gentils devenus croyants, mais leur nombre augmentait de plus en plus ; il devint prédominant et ce fut la raison pour laquelle saintPaul leur écrivit. L'Épître aux Romains suppose donc un élément juif, et c’est pourquoi dans les chapitres ix-xi, saint Paul explique les causes providentielles de l’incrédulité de ses anciens coreligionnaires, que, iv, 11, il appelle Abraham notre ancêtre selon la chair, que, vil, 1-6, il dit à ses lecteurs qu’ils sont morts à la Loi (jfjLEïî), qu’il leur parle comme à des gens connaissant la Loi, et qu’il emploie des arguments tirés de l’Ancien Testament, propres à impressionner des esprits habitués à la lecture de la "Loi et des prophètes. Mais dès le début, la lettre suppose une communauté où l'élément ethnic.o-chrétien occupe une large place. L’adresse, qui dans la circonstance est la partie de la lettre où doit le mieux se révéler le genre de lecteurs auxquels elle s’adresse, parle expressément de Gentils, Rom., i, 5-6, 13-14 ; cf. xv, 14-16. À Rome, comme à Antioche, à Éphèse, ou à Corinthe, la communauté chrétienne avait commencé par les Juifs gagnés à l'Évangile par les émigrants dont il a été question. A ce premier groupe de convertis s’adjoignirent, plus tard, un nombre considérable de néophytes d’origine païenne. Ce dernier groupe s’accrut dans de telles proportions qu’il forma, à la longue, la majorité de la nouvelle église. L'Église de Rome était donc mixte mais avec un élément non juif prépondérant, si bien que vers la iin du I er siècle elle était principalement composée de nationaux romains, d’anciens païens ; comme l’atteste la lettre de saint Clément. D’après le récit des Actes, Jtxviii, 22, la propagande chrétienne ne semble pas avoir jusque-là fait beaucoup de conquête dans les synagogues de Rome.

IV. Occasion et but de l'Épître. — Ceux qui font de la première communauté romaine une église composée surtout de judéo-chrétiens, lui attribuent des tendances judaïsantes. L'Épître de Paul aurait alors eu pour but de les combattre. Mais outre que rien, dans cet écrit, ne sente la polémique, il est facile àdémontrerque lamajoritédes fidèlesdeRome n’avait pas uneConception religieuse différente de celle de Paul lui-même. Ainsi dès le début, Rom., i, 8, l’Apôtre approuve et loue la foi des Romains, déjà connue dans le monde entier ; v, 11, il leur dit que s’il désire les voir, c’est dans l’intention de les affermir. Même idée à la fin de l'Épître, xvi, 25 : « et celui qui peut vous affermir selon mon évangile et la prédication de Jésus-Christ. » Dans le chapitre précédent, xv, 14-15, Paul déclare qu’il n’a rien *oùlu leur enseigner de nouveau mais seulement leur rappeler ce qu’ils savent déjà, attendu qu’ils sont remplis de toute science et qu’ils peuvent se corriger mutuellement. Enfin, vi, 17, l’Apôtre remercie Dieu de ce que ses lecteurs ont adhéré de cœur à la forme de doctrine (tuttov StSxxik) 1 u i ' eur a été enseignée, et qui, d’après le contexte, n’est autre que l'évangile de Paul luimême.

L’Apôtre exprime lui-même, à deux reprises, Rom., i, 10-15, et xv, 22-33, la circonstance qui l’a décidé à écrire cette Épitre. Depuis longtemps ses regards étaient tournés vers Rome. Il pressentait que l’avenir

de la foi nouvelle était là. Une voix intérieure l’y poussait d’une façon impérieuse, irrésistible. Cf. Act., xxili, 11. Le désir devenait plus intense à mesure qu’il considérait son œuvre comme achevée en Orient. Rome lui apparaissait comme le centre providentiel de nouvelles missions à travers les pays d’Occident. La capitale de l’univers devait, dans son idée, être le pont d’appui de cette excursion apostolique, comme l’avait été Antioche dans la première partie de sa carrière. « Il faut que je voie Rome, » disait-il sans cesse. Act., xix, 21 ; Rom., i, 11-17 ; xv, 23. Jusqu’ici il n’avait pu songer à réaliser son plan : les menées de judaïsants, en Galatie, à Corinthe même, exigeaient sa présence en Orient. Mais tout ayant été remis en ordre à Corinthe dans les mois d’hiver de son dernier séjour, il fut repris par le désir de voir Rome et par delà Rome, l’Espagne, située, suivant l’opinion du temps, aux confins de la terre. Une diaconesse de Cenchrées, port de Corinthe, se disposait alors à franchir la mer pour se rendre en Italie. L’Apôtre saisit cette occasion pour écrire cette lettre qui devait préparer sa venue dans la Ville Éternelle, où il ne devait arriver que deux ans plus tard, avec des chaînes de prisonnier.

On ferait un livre des opinions et des controverses présentées par cette question : « Quel but s’est proposé saint Paul dans l'Épître aux Romains ? » Dès les temps anciens, deux opinions se font jour. Les Pères grecs (Origène, saint Jean Chrysostome, Théodoret, plus tard, saint Jean Damascène, Œcuménius, Théophylacte) lui prêtent en général, une intention dogmatique : « Conduire les hommes au Christ. » Dans l'Église latine, le canon de Muratori partage la même opinion : saint Paul a voulu inculquer à ses lecteurs cette vérité que « le Christ est le principe des Écritures. » Le commentaire d’Hilaire, V Ambrosiaster, indique à l'Épître un autre but. D’après lui, les chrétiens de Rome « s'étaient laissé imposer les rites mosaïques, comme si le salut complet ne se trouvait pas dans le Christ ; c’est pourquoi saint Paul voulut leur enseigner le mystère de la croix du Christ, qui ne leur avait pas encore été exposé. » Pour saint Augustin, l’Apôtre a voulu opérer une œuvre de réconciliation entre les deux fractions, juive et païenne, de la communauté. Les c. xiv et xv, 13, contiendraient alors le vrai but de la lettre. Au moyen âge, on retrouve le même point de vue chez Raban-Maur et Abélard. Saint Thomas, dans ses remarquables commentaires sur les Épîtres de saint Paul, admet aussi le but purement dogmatique de l'Épître aux Romains. Érasme, le premier, soupçonne que Paul, en composant cet écrit, a voulu prémunir la jeune Église romaine, contre le péril judaïsant. Le passage, xvi, 17, 20, refléterait ainsi la pensée directrice de l'Épître tout entière. Dans l’idée des Pères de la Réforme, l’Apôtre a voulu donner à l'Église de Rome un exposé Complet de l'Évangile, tel que l’enseignait Paul. Aussi, dans les premiers temps, les Réformateurs employaient-ils l'Épitre aux Romains comme le critérium presque exclusif de .toute vraie foi. Ils avaient repris, en l’exagérant, l’opinion des Pères grecs. Dans l'Épître aux Romains, dit Mélanchton, l’Apôtre ne philosophe ni sur les mystères de la Trinité, ni sur le mode de l’Incarnation, ni sur la création active et passive ; mais.il donne le sommaire de la doctrine chrétienne (doctrinse christianse compendium) ; et n’est-ce pas en effet de la loi, du péché et de la grâce que résulte la connaissance du Christ ? Au commencement du xix » siècle, l’exégète catholique Hug reprit l’idée de saint Augustin, c’est-àdire prêta à l’Apôtre l’intention d’opérer un rapprochement entre les deux parties de l'Église, tandis qu’Eichhorn revint à l’hypothèse d’une polémique antijudaïque. Une lutte se serait produite dans la communauté romaine à la suite de l’arrivée des amis et des