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PENTATEUQUE

sujet de cette narration est identique à celui des récits précédents. Tous ces récits sont donc d’une même main, qui n’est pas celle de Moïse, ni celle d’Esdras, mais celle d’un inconnu. La législation venait de Moïse, et le Pentateuque n’en demeurait pas moins le plvfs saint de tous les livres de la Bible. Au XVIIe siècle, les doutes se multiplièrent. Le philosophe anglais Hobbes, Leviathan, 1. III, c. xxxiii, Londres, 1651, déclarait d’abord que le titre : « les. cinq livres de Moïse, » ne voulait pas dire que Moïse en était l’auteur, mais seulement qu’il en était le sujet principal. Le récit de la mort de Moïse est une addition postérieure. L’ensemble du Pentateuque est plus récent que Moïse, qui en a cependant rédigé quelques parties, notamment Deut., xi-xxvii. Isaac de la Peyrère, Syslema theologicum ex Prseadamilarum hypothesi, 1. IV, s. 1., 1655, p. 173182, ne regardait pas non plus le Pentateuque actuel comme l'œuvre originale de Moïse. Les derniers versets du Deutéronome, certains passages, Num., xxii, 14-15 ; Deut., i, 1 ; iii, 11, 14, sont des additions ; les détails sur Séir, Deut., ii, conviennent à l'époque de David ; les obscurités, les confusions, les lacunes et les altérations du texte actuel ne proviennent pas de Moïse. Celui-ci cependant avait écrit l’histoire des Juifs à partir de la création du monde et rédigé sa propre législation ; mais son livre a été abrégé, retouché et modifié, comme le prouve l'étude du texte. Ce n’est pas encore la négation de l’origine mosaïque du Pentateuque.

Baruch Spinoza (1634-1677), Traclatus theologicopoliticus, c. viii, IX, dans Opéra, 2e édit. de Van Vloten et Land, La Haye, 1895, t. ii, p. 56-69, rejette l’authenticité mosaïque du Pentateuque. Il reproduit les objections d’Abenesra et il les interprète dans le sens de la négation de l’authenticité mosaïque. Il y joint ses observations personnelles : 1° Il est parlé de Moïse à la troisième personne, Num., xii, 3 ; xxxi, 14 ; Deut., xxxiii, 1, tandis que Moïse parle à la première personne de la loi qu’il avait promulguée et écrite. Deut., ii, 1-17, etc. À la fin du Deutéronome, le récit reprend à la troisième personne ; ce qui prouve que le livre dans son état actuel est d’une autre main que de celle de Moïse. 2° Le récit de la mort, de la sépulture et du deuil de Moïse, l'éloge de ce prophète supérieur aux autres prophètes, faits au passé, témoignent d’une époque postérieure de rédaction. 3° Certaines localités, telles que Dan, Gen., xiv, 14, portent les noms qu’elles eurent longtemps après Moïse seulement. 4° Parfois le récit historique dépasse la vie de Moïse. Ainsi, la cessation de la mandueation de la manne, Exod., xvi, 14, n’eut lieu qu'à l’arrivée des Israélites aux frontières du pays de Chanaan. Jos., v, 12. Les rois iduméens nommés Gen., xxxvi, 31, vont jusqu'à David, qui subjugua leur royaume. II Sam., viii, 14. De tout cela il ressort plus clair que le jour que le Pentateuque a été rédigé par un écrivain postérieur à Moïse. Moïse toutefois a écrit des livres, mentionnés dans le Pentateuque et différents de ce livre, à savoir : 1° le livre des guerres de Dieu, Num., xxi, 14, qui contenait sans doute le récit de la défaite d’Amalec, Exod., xvii, 14, et toutes les stations décrites par Moïse, Num., xxxin, 2 ; 2° le livre de l’alliance, Exod., xxi, 4, 7, réduit aux lois, Exod., xx, 22-xxm, 33 ; 3° un livre d’explication de toutes les lois mosaïques, Deut., i, 5, lois qu’il avait imposées de nouveau, Deut., xxix, 14, livre qu’il avait écrit en y relatant la rénovation de l’alliance, Deut., xxxi, 9 ; c’est le « livre de la loi », augmenté par Josué, Jos., xxiv, 25, 26, livre perdu, mais inséré partiellement dans le Pentateuque, avec le cantique. Deut., xxxii. Quoiqu’il soit vraisemblable que Moïse ait écrit d’autres lois, on ne peut cependant l’affirmer, car les anciens pouvaient les avoir rédigées eux-mêmes et l’auteur de la vie de Moïse les avoir in sérées dans son livre. Quant au Pentateuque, il n’a formé d’abord qu’un écrit avec Josué, les Juges, Ruth, les livres de Samuel et des Rois, œuvre d’un historien qui racontait l’histoire juive depuis la création jusqu'à la ruine de Jérusalem par Nabuchodonosor. Son auteur est probablement Esdras, le seul scribe dont le zèle pour la Loi soit mentionné dans l'Écriture. Esdras a au moins rédigé le livre de la Loi ou le Deutéronome, qu’il a lu et fait expliquer au peuple. II Esd., viii, 9. Plus tard, Esdras prit soin d'écrire l’histoire complète des Juifs, en y insérant le Deutéronome à sa place. Peutêtre même a-t-il intitulé les cinq premiers livres de cette histoire « livres de Moïse », parce qu’ils contenaient surtout la vie de ce personnage. Mais Esdras n’a pas mis la dernière main à cette histoire. Faisant une simple compilation de documents antérieurs, il les a seulement transcrits, sans les ordonner. C’est pourquoi, dans le Pentateuque, les lois et les récits historiques sont mélangés sans ordre logique ou chronologique ; les mêmes faits sont répétés, et parfois diversement. Cf. P. L. Couchoud, Benoît de Spinoza, Paris, 1902, p. 102-104. Les additions et recherches dans l'œuvre de Moïse sont faciles à expliquer comme un complément apporté dans la suite des temps à l’ouvrage primitif. Les autres assertions de Spinoza ne reposent sur rien de positif.

Pour répondre aux objections de Spinoza et défendre l’autorité historique et divine des livres de Moïse, Richard Simon a émis des hypothèses nouvelles sur la composition du Pentateuque. Il attribuait à Moïse personnellement toute la partie législative de ce livre. Quant aux récits historiques, il reconnaissait que ce législateur lui-même avait rédigé, mais d’après d’anciens mémoires, la Genèse entière. L’histoire de son temps, il ne l’avait pas écrite de sa main ; il l’avait fait écrire par des scribes publics, dont l’existence est constatée plus tard et qui étaient chargés officiellement de rédiger les Annales d’Israël. Bien que leur institution par Moïse ne soit pas mentionnée dans le Pentateuque, elle est néanmoins vraisemblable. Au sentiment de Richard Simon, ces scribes publics étaient inspirés pour abréger, en les ordonnant, les modifiant et les complétant, les Annales officielles. Comme ils résumaient celles-ci, ils ont laissé dans leurs abrégés des répétitions en vue de ne pas trop modifier les actes publics. Ayant été exécuté par ordre de Moïse, leur travail pouvait légitimement être attribué à ce dernier. Certaines incohérences du texte actuel proviennent, en outre, d’un déplacement de feuillets, opéré à l'époque où les livres de la Bible avaient la forme de rouleaux. Elles ne prouvent rien contre l’autorité divine et l’origine mosaïque du Pentateuque. Voir Histoire critique du Vieux Testament, préface non paginée, et le 1. 1, c. i-vi, Rotterdam, 1685, p. 1-45 ; Réponse au livre intitulé : Sentimens de quelques théologiens de Hollande, c. viIX, Rotterdam, 1686, p. 55-94 ; De l’inspiration des livres sacrés, etc., Rotterdam, 1687, p. 20-34. 114-125, 137-147, 150 sq. ; Lettres choisies, lettres xxviii-xxx, 2= édit., Paris, 11730, t. iii, p. 206-236 ; Critique de la Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, Paris, 1730, t. ii, p. 449 ; t. iii, p. 154-247. Cf. A. Bernus, Richard Simon, Lausanne, 1869, p. 78-80, 83-89 ; H. Margival, Richard Simon et la critique biblique au ir/i' siècle, dans la Revtte d’histoire et de littérature religieuses, 1897, t. ii, p. 540-545.

L’arminien Jean Leclerc, sous le voile de l’anonyme, attaqua Richard Simon et nia l’authenticité mosaïque du Pentateuque. II signalait dans les livres de Moïse des détails et des chapitres entiers qui, d’après lui, supposent une époque postérieure à Moïse. Dans son état actuel, le Pentateuque est une compilation, - non pas d’ouvrages officiels, extraits des archives publiques, mais bien d'écrits privés, dont quelques-uns, comme