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PROPRIÉTÉ — PROSELYTE

son patrimoine à la disposition de tous, ne rien conserver en propre, ne rien vendre et ne rien acheter au sein de la communauté, vivre dans la pauvreté en recevant d’une caisse commune ce qui était strictement nécessaire pour la nourriture, le vêtement, les soins en cas de maladie, verser à cette caisse le produit de son travail, ne rien emporter en voyage, etc. Cf. Josèphe, Bell. jud., II, viii, 3, 4, 8, 9 ; Philon, Quod omnis probus liber, 12, 13, édit. Mangey, t. ii, p. 457, 458, 632, 633. Les écrivains du Nouveau Testament ne font aucune mention des esséniens et les laissent cantonnés dans leur orgueilleux et stérile particularisme. Les pharisiens les avaient en horreur, à cause de leur prétention à être des Juifs parfaits. Ils disaient à propos de leur communisme : « Celui qui dit : le mien est à toi et le tien est à moi, est un niais. » Pirké aboth v, 14. Les doctrines singulières des esséniens, leur fidélité servile à la loi, leur éloignement systématique du Temple, l’étrangeté de leur manière de vivre ne permettent pas de dire que les premiers chrétiens aient voulu les imiter. Ceux-ci avaient pour se guider les exemples de la vie menée en commun par les Apôtres, les exemples et les conseils du Sauveur ; et si le divin Maître voulut mener une vie qui, au regard des biens de ce monde, avait quelque analogie avec celle des esséniens, il ne lui était pas nécessaire de recourir à eux pour en avoir l’inspiration. L’esprit et la pratique du détachement et de la charité fraternelle résultaient, comme une conséquence toute naturelle, des enseignements qu’il apportait au monde. D’ailleurs cette vie d’obéissance et de pauvreté en commun n’était pas totalement étrangère aux anciens Israélites ; elle avait dû être la vie de ces « fils de prophètes » qui se groupaient autour de Samuel, d’Élie, d’Elisée et d’autres pieux personnages. I Reg., x, 10 ; III Reg., xx, 35 ; IV Reg., ii, 3 ; iv, 38, etc.

4° Le système inauguré par l’Église de Jérusalem ne pouvait être que transitoire. Les esséniens excitaient l’admiration du peuple par leur pauvreté volontaire et leur charité. Il était bon de montrer que la doctrine nouvelle avait la puissance de faire pratiquer ces grandes vertus par tous ses adhérents. Mais vint le jour où toutes les propriétés furent vendues et où il devint fort difficile d’entretenir une société nombreuse, incapable de se suffire par son seul travail et n’ayant rien à espérer de ses anciens coreligionnaires. Quand saint Paul vint à Jérusalem après ses premières missions, les trois apôtres qui se trouvaient alors dans la capitale durent le prier de se souvenir des pauvres. Gal., ii, 10. Il fut fidèle à cette recommandation. Voir Aumône, t. i. col. 1251. L’expérience montrait qu’au point de vue de la propriété, la pratique du conseil ne pouvait devenir la règle générale parmi les chrétiens.

5° Les Apôtres, dans leurs Épîtres, ne disent rien qui ait trait directement à la propriété. Saint Jacques, qui avait sous les yeux le contraste existant entre les pauvres de son église chrétienne et les riches propriétaires du judaïsme sadducéen, maudit ces derniers et les compare à la victime qui se repaît encore le jour où on va l’égorger. Jacob., v, 1-6. Saint Paul recommande de ne pas attacher son cœur à ce que l’on possède. I Cor., vii, 30. Il veut que les ministres de Dieu, qui possèdent tout dans l’ordre spirituel, II Cor., vi, 10, se contentent, pour toute propriété, de ce qui est indispensable à la nourriture et au vêtement. I Tim., vi, 8. Dans le cours de ses missions, l’Apôtre fut mis en rapport avec des personnes qui disposaient de propriétés considérables, Priscille et Aquila, qui entretenaient une communauté chrétienne dans leur maison, à Corinthe, I Cor., xvi, 19, et à Rome, Rom., xvi, 5, Philémon, auquel il demande l’hospitalité, Philem., 22, etc. Des patriciens de Rome ne tardèrent pas à suivre les exemples de ces premiers chrétiens et à mettre à la disposition de leurs frères dans la foi leurs maisons, pour y célébrer leur culte, leurs domaines ruraux, pour y creuser leurs sépultures.

H. Lesètre.

PROSÉLYTE (Septante : προσήλυτος ; Vulgate : proselytus), étranger qui adhère plus ou moins complètement à la religion juive.

I. Dans l’Ancien Testament.

Le mot προσήλυτος est particulier au grec de l’Ancien Testament et ne se trouve pas chez les classiques. Dans la Genèse, xlvii, 9, Aquila traduit mâgûr, « séjour à l’étranger », ἡμέραι ἃς παροικῶ, peregrinatio, par προσηλύτευσις. Dans l’Exode, xii, 40, les Septante traduisent gêr, « étranger », par προσήλυτος, colonus. Dans Ézéchiel, xiv, 7, les mots hag-gêr’ăšėr yâgûr beyṡrâ’êl, « l’étranger qui réside en Israël », sont rendus dans les Septante par προσηλύτοι οἵ προσηλυτευόντες ἐν τῷ Ἰσραήλ, et dans la Vulgate par de proselytis quicumque advena fuerit in Israel, « quiconque des étrangers se sera établi en Israël. » Le mot prosélyte est encore employé pour désigner les étrangers, gêrîm, qui habitent parmi les Israélites, I Par., xxii, 2 ; II Par., ii, 17 ; xxx, 25 ; Tob., i, 8 (7). En somme, dans les versions de l’Ancien Testament, ce mot signifie simplement « étranger ».

II. A l’époque du Nouveau Testament.

Signification du mot.

Notre-Seigneur accuse les scribes et les pharisiens de courir les mers et la terre pour faire un prosélyte qu’ils conduisent ensuite à la perdition. Matth., xxiii, 15. Le mot ne signifie plus seulement « étranger » ; car alors la remarque du Sauveur ne se comprendrait pas. Il s’agit d’un étranger conquis à la croyance et à la pratique religieuse des Israélites. A la Pentecôte, l’écrivain sacré signale la présence à Jérusalem d’« hommes pieux de toutes les nations », tant juifs que prosélytes. Act., ii, 5, 11. Ici encore les prosélytes sont autre chose que de simples étrangers. D’autres noms éclairent la signification du précédent. Des étrangers sont appelés φοβούμενοι τὸν θεόν, timentes Deum, les « craignant Dieu », Act., x, 2, 22 ; xiii, 16, 26 ; σεβόμενοι τὸν θεόν, colentes Deum, les « servant Dieu », Act., xvi, 14 ; xviii, 7, ou simplement σεβόμενοι, colentes, Act., xiii, 50 ; xvii, 4, 17, et une fois σεβόμενοι προσήλυτοι, colentes advenæ, « étrangers servant » Dieu. Act., xiii, 43. Cf. Josèphe, Ant. jud., XIV, vii, 2. Ces noms différents désignent les gêrim ou « étrangers » qui ont adhéré de quelque façon à la religion juive. Dans la Mischna, le mot gêr, traduit par προσήλυτος, dans les versions, prend souvent ce sens spécial d’étranger converti. Cf. Bikkurim, 1, 4, 5 ; Schekalim, i, 3, 6 ; vii, 6, etc. De gêr, les talmudistes ont même tiré le verbe niṭgayyêr, « se convertir ». Cf. Pea, iv, 6 ; Challa, iii, 6 ; Pesachim, viii, 8, etc. Comme en araméen gêr devient giyyorâ’, les Septante ont créé le mot γειώρας, Exod., xii, 19 ; Is., xiv, 1, pour désigner les réunions d’étrangers qui se joignent aux Israélites. Ainsi, les deux mots gêr et προσήλυτος ont perdu, dans la littérature juive, leur sens primitif pour en prendre un autre plus spécial. Philon, De monarch., i, 7, édit. Mangey, t. ii, p. 219, définit les προσήλυτους ἀπὸ τοῦ προσεληλυθέναι καινῇ καὶ φιλοθέῳ πολιτείᾳ, « de ce qu’ils s’approchent d’un genre de vie nouvelle dans laquelle on aime Dieu. » Dans l’Évangile de Nicodème, 2, il est dit : « Que sont les prosélytes ? On lui dit : Ce sont ceux qui sont nés enfants des Hellènes et maintenant sont devenus Juifs. » Les Pères parlent des prosélytes dans le même sens ; ainsi saint Justin. Dial. cum Tryph., 23, 122, t. vi, col. 525, 560, qui emploie le terme γηόρας pour désigner la réunion des prosélytes ; saint Irénée, Adv. hæres., III, xxi, 1, t. vii, col. 946, qui appelle Théodotion et Aquila des « Juifs prosélytes » ; Tertullien, Adv. jud., 1, t. ii, col. 597, etc. Philon emploie parfois, comme synonymes de προσήλυτος, les mots