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PROPHETISME


enfin dans la personne d’Elisée. L’enthousiasme des nebî’tm s’alténue fortement ; les prophètes cessent d’être hors de raison ; ils deviennent voyants et reçoivent des communications de Jéhovah. D’autre part, les voyants prennent quelques allures extraordinaires des anciens prophètes exaltés et font des actes plus singuliers que ceux qui sont attribués à Samuel dans les anciens récits. Élie et Elisée inaugurent un ministère, qui est une sorte d’apostolat par protestation contre l’introduction de Baal et des dieux étrangers en Israël. Autour d’Elisée, qui était un voyant, se groupent des troupes d’inspirés ; ils devinrent ses disciples, et ils ont des révélations. Les voyants prenaient alors le nom de prophètes, et les inspirés sont appelés fils de prophètes.

Suivant la remarque de Krætzschmar, op. cit., p. 23, il n’est pas toujours facile de discerner dans l’histoire de cette période de transition, à quelle catégorie des voyants ou des prophètes il faut ranger certains personnages, et il se peut que, dans les anciens récits, le nom d’un groupe ait été attribué à des individus de l’autre groupe. Par suite, les critiques ne sont pas d’accord sur le classement pas plus que sur certains détails, dont ils admettent ou contestent l’historicité.

Ils relèvent cependant, même chez les prophètes Élie et Elisée, qui paraissent être les successeurs des voyants, des traces du caractère extatique des anciens neb’îîm. Ainsi Élie courut au galop devant le char d’Achab durant tout le trajet du Carmel à Jesraël. I (III) Reg., xviii, 44-46. Elisée irrité eut besoin d’appeler un harpiste pour calmer son courroux et se procurer à l’aide de la musique l’inspiration prophétique. II (IV) Reg., iii, 15. Quand ce prophète envoya un de ses disciples pour oindre.léhu, ce fils de prophète remplit sa mission, seul, sans témoin, dans la chambre de Jéhu, et dès qu’il eut fini, il ouvrit aussitôt la porte et s’enfuit. Les soldats demandèrent à leur chef : « Pourquoi ce fou est-il venu te trouver ? » II (IV) Reg., ix, 1-11. Ce terme de jjjm, « fou, insensé », servait à désigner les prophètes. Cf. Ose., îx, 7, 8 ; Jer., xxix, 26. La conduite du fils de prophète, qui se fait frapper par un passant, et qui, couvert de son turban, se présente au roi Achab et lui propose un cas de conscience, paraît bien extravagante. Aussi, lorsqu’il eut enlevé le linge qui couvrait son visage, le roi le reconnut pour un prophète, pour un homme exalté et singulier. I (III) Reg., xx, 35-41. Krætzschmar, op. cit., p. 9, après Stade, a même cru reconnaître dans cet épisode une preuve que les fils de prophètes portaient sur le front entre les yeux des cicatrices sacrées, que ce critique a appelées des « marques de Jahvéh », tatouage qui distinguait ceux qui appartenaient à ce dieu et qui se plaçaient sous sa protection spéciale. Un nabi’ne voulait-il pas être reconnu, il couvrait son front d’un linge et cachait ses cicatrices caractéristiques. Achab reconnut à ce signe le fils de prophète, qui s’était présenté à lui ainsi voilé. Pour les mêmes signes aux mains, on renvoie à Zach., xui, 3-6. Cf. A. Van Hoonacker, Les douze petits prophètes, Paris, 1908, p. 686-687. C’est parce que le ndbî’et le fils de nâbî’étaient encore mal considérés et passaient pour des insensés qu’Amos, le premier prophète écrivain, déclare qu’il n’est ni ndbi’ni fils de nâbï, vii, 14.

Élie, dans la légende et dans l’histoire, apparaît comme la personnification idéale du prophète puritain de Jéhovah. Il est isolé. Une vraie pensée religieuse l’anime, quoiqu’elle soit empoisonnée par un sombre fanatisme. C’est un jéhoviste intégral, c’est-à-dire un adorateur de Jéhovah, dieu bon, juste, quoique sévère, exigeant un culte moral, en esprit et en vérité, Sous le règne d’Achab, qui favorisait le culte de Baal, la religion nationale* courait de grands risques. Le prophète se fit l’apôtre de son Dieu ; mais c’était un apôtre ardent, fougueux, exalté, qui ne recula pas devant l’emploi de

moyens violents pour faire triompher ses idées ieligieuses et morales. Il est entré en lutte ouverte avec Achab et a fait égorger les prêtres de Baal. Mais la légende l’a peut-être fait plus fanatique qu’il n’était en réalité. Son disciple, Elisée, continuateur de son esprit, est entouré de fils de prophètes, c’est-à-dire de nebî’im proprement dits, qui étaient de la même catégorie que les nebî’tm exaltés du temps de Samuel. C’étaient des adorateurs fervents de Jahvéh qui s’élevèrent, à cette époque de crise nationale et religieuse, pour l’honneur d’Israël et de son Dieu. Ils protestaient contre l’intrusion du culte étranger et polythéiste de Baal. Budde, op. cit., p. 94. Elisée les avait organisés en corporations, sur la nature et le but desquelles on est loin d’être d’accord. Généralement, on admet qu’on s’y exerçait à l’art prophétique et qu’on y recourait à des moyens naturels, à des recettes, à des procédés pour exciter l’inspiration. « La plupart d’entre eux, dit M. Maspero, Histoire des peuples de l’Orient classique, Paris, 1897, t. ii, p. 749, étaient installés auprès des temples, et ils y vivaient en termes excellents avec les membres du sacerdoce régulier. Ils y répétaient au son des instruments les chants où les poètes d’autrefois avaient exalté les exploits de Jahvéh, et ils en extrayaient la matière des histoires semireligieuses qu’ils racontaient sur l’origine du peuple, ou hienils s’en allaient prêcher à l’aventure dès que l’esprit les saisissait, isolés, ou le maître avec son disciple, ou par bandes inégales. Le peuple se pressait autour d’eux, écoutant leurs hymnes ou leurs histoires de l’âge héroïque ; les grands, les rois mêmes subissaient leurs visites et enduraient leurs reproches ou leurs exhortations avec un respect mêlé de terreur. » Et M. Loisy, op. cit., p. 61, conclut : « L’institution semble décliner après la mort d’Elisée, et elle n’a pas dû, en tout cas, survivre au royaume d’Israël. Amos, Osée, Isaïe ne sortent pas de ce milieu. »

lll. PÉRIODE DES PROPHÈTES ÉCRIVAINS, DU VIW AU

IV SIÈCLE. — Ces prophètes sont en progrès notable sur les précédents. Ils tiennent encore du devin, mais ils n’ont plus rien du prêtre. Ils sont les héritiers de Samuel et des voyants et non des nebi’îm exaltés, dont pourtant ils portent le nom, mais avec une autre signification. Ons les consultait encore, comme on avait consulté Samuel, sur toutes sortes de sujets, et ils ré* pondaient à toutes les questions. « Les rois d’Israël et de Juda, avant de partir en guerre, interrogent les prophètes sur le succès de leurs expéditions. Beaucoup d’individus faisaient métier d’annoncer l’avenir et de fournir des renseignements sur les choses cachées, le tout au nom de Jahvéh, mais comme ils l’auraient fait au nom de Camos en Moab : ce sont ceux que l’Écriture appelle faux prophètes, et qui pratiquaient, en quelque façon, la divination pour elle-même. Les vrais prophètes exercent aussi la divination, mais en vue d’une fin supérieure, et les réponses qu’ils donnent au nom de Jahvéh sont en rapport avec le caractère moral de leur Dieu. Dans le temps et le milieu où ils vivaient, un enseignement dogmatique n’aurait eu aucune prise sur le commun des hommes. On eût mieux aimé recourir aux sorciers que de se passer d’oracles. Les vrais prophètes en ont donc rendu, et beaucoup, selon que l’Esprit les leur suggérait ; mais nous les voyons de bonne heure subordonner leurs réponses à un principe général, à une condition religieuse et morale qui peut se résumer en ces termes : Jahvéh vous protégera si vous lui êtes fidèles ; il vous abandonnera si vous l’abandonnez. Et comme ils en viennent de plus en plus à s’occuper des intérêts généraux de la nation, leurs prédictions se transforment progressivement en véritables prédications sur la^providence de Jahvéh, ses desseins, sa justice, les moyens de prévenir ses châtiments et d’avoir part à sa miséricorde. » A. Loisy, op. cit., p. 61-62.