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PROPHETIQUES (LIVRES) — PROPHETISME

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celles des prophètes antérieurs ou premiers, c’est-à-dire des auteurs du livre de Josué, des Juges, des deux livres de Samuel (nos deux premiers livres des Rois) et des deux livres des Rois (le troisième et le quatrième livre des Rois de la Vulgate).

PROPHETISME. On désigne sous ce nom, dans le langage des rationalistes, l’explication naturelle de l’intervention, dans l’histoire d’Israël, des prophètes, hommes extraordinaires, doués d’une très grande intelligence et d’une très rare perspicacité, qui ont enseigné une doctrine religieuse très élevée et exercé sur leur peuple une très forte influence au point de vue religieux, moral, social, politique et littéraire. Loin d'être un miracle vivant, une série presque ininterrompue d’interventions directes de Dieu en Israël, comme on l’a cru longtemps, le prophétisme hébreu est un phénomène purement naturel, unique en son genre, il est vrai, quoiqu’il ne soit pas absolument distinct d’autres actes religieux ni sans aucune analogie avec des faits de même nature dans les autres religions. À force d'études, la critique moderne l’a enfin compris etl’aramené, sans le rabaisser, aux conditions et aux lois de l’histoire positive. Avant d’exposer la nouvelle idée qu’on s’est faite des prophètes d’Israël, il sera bon d’indiquer brièvement les principes qui ont seryi de point de départ et la méthode suivie pour aboutir à de tels résultats.

I. Principes et méthode. — Pour expliquer l’origine, la nature, le rôle historique du prophétisme hébraïque et son influence sur les destinées religieuses et politiques d’Israël, les critiques rationalistes ont écarté toute intervention surnaturelle de Dieu ; ils se sont placés uniquement sur le terrain rationnel et ils n’ont eu recours qu'à la loi historique du développement de l’humanité. Le prophétisme hébreu leur est apparu comme un phénomène religieux et se présentant avec les mêmes caractères et les mêmes traits que le prophétisme des autres religions. L’unique différence entre le prophète hébreu et les prophètes païens, c’est qu’il a atteint une hauteur à laquelle les autres ne sont pas parvenus. Les prophètes d’Israël excellent ; ils sont incontestablement et de beaucoup les premiers, les types du genre ; mais leur supériorité ne les élève pas à l’ordre surnaturel et divin ; ils restent dans l’ordre naturel de l’histoire des anciennes religions, surtout des religions sémitiques.

En effet, le prophétisme n’est pas un phénomène particulier au peuple d’Israël. Il n’est pas de société humaine qui, à un moment donné de son existence, n’ait eu, sous un nom ou sous un autre, ses interprètes de la divinité, ses hommes de Dieu. Chez tous les peuples de l’antiquité et aujourd’hui encore parmi les nations qui n’ont pas dépassé un certain degré de culture et qui sont très rapprochées de la situation sociale des âges primitifs, il s’est rencontré et on rencontre des hommes qui se sont attribué ou s’attribuent, avec une entière bonne foi, le pouvoir surnaturel de lire dans l’avenir et de communiquer à ceux qui les entourent les décisions de la volonté divine, dont ils sont ou dont ils croient être les organes. Tous les peuples sémitiques, notamment ceux qui touchent de plus près à Israël, ont eu leurs prophètes. Les Arabes n’ont pas cessé d’en avoir. Le prophétisme caractérise en quelque sorte la race sémitique. Toutefois, il s’est produit aussi dans les races indo-européennes. La Grèce eut ses navreiç, ses devins possédés de la [iavia ou fureur prophétique, et cet ordre de faits donna lieu à une science spéciale, la mantique. La Gaule et la Germanie eurent leurs inspi"rées, leurs prophétesses. Dans la plupart des cas, le prophétisme ne s'éleva pas très haut et ne dépassa guère les modes ordinaires de la divination. Si chez les Hébreux il fut supérieur à ce qu’il apparaît ailleurs, il" ne faut pas cependant changer sa supériorité relative en singularité absolue.

Il présente, en effet, dans ses manifestations extérieures, des ressemblances avec le prophétisme desautres peuples. Ce que la Bible rapporte des prophètes d’Israël, de leur genre de vie, de leur mode d’action, , ressemble étonnamment à ce que nous savons des devins païens. On constate, chez les uns et chez lesautres, la révélation par les songes, une violente exaltation de l’imagination dans l’exercice même de la prophétie, l’union de la vaticination avec l’art de la médecine et la poésie. Leur histoire a été embellie par la légende, et leur existence n’est signalée qu'à l'âgé héroïque des peuples anciens. On est ainsi ramené à une loi historique générale. Le prophétisme est commun à tous les peuples, et il est une manifestation propre aux temps héroïques. Le peuple d’Israël n’est donc pas, sous ce rapport, une exception dans le monde, et son prophétisme rentre dans les analogies de l’histoire. D’ailleurs les récits bibliques, dépouillés de leur caractère légendaire et de leur interprétation surnaturelle des faits prophétiques, se ramènent très facilement aux conditions ordinaires du développement des idées religieuses.

Que penser de ces principes et de cette méthode ? Il n’est pas exact, d’abord, que le prophétisme n’ait existé qu’aux âges héroïques de l’histoire, puisque les peuples païens ont eu leurs devins aux époques de la plus grande civilisation et en pleine histoire. Quant à la méthode employée pour ramener le prophétisme hébreu aux lois et aux conditions ordinaires, elle n’est qu’une application spéciale de l'étude comparée des religions, comme si les ressemblances constatées prouvaient l’identité de nature et de conditions. Mais ces ressemblances sont purement extérieures, partielles et isolées, et elles ne constituent souvent que de simples analogies. On ne peut donc sans paralogisme conclure à l’identité de cause, d’autant qu'à côté des ressemblances, si multiples qu’elles soient, il y a de très grandes différences, et la supériorité du prophétisme hébreu sur les autres n’est niée par aucun critique. Ces différences et cette transcendance exigent donc une autre origine, des causes différentes et supérieures aux causes naturelles, par suite une cause surnaturelle qui est précisément l’inspiration divine, attestée dans la Bible. Voir Prophète et Prophétie. Les ressemblances purement extérieures s’expliquent par l’identité de quelques moyens, employés par Dieu même pour produire parmi son peuple de choix, les mêmes effets que la divination produisait chez les peuples païens, pour s’adapter aux mêmes dispositions du cœur humain et donner satisfaction aux mêmes aspirations. Cf. P. de Broglie, Problèmes et conclusions de l’histoire des religions, Paris, 1885, p. 244-260, 321-326, 412414. L’interprétation naturaliste des récits bibliques, faite en vue de leur enlever tout caractère surnaturel et divin, repose sur un principe a priori, étranger à la science véritable, et n’est pas capable de faire impression sur un esprit exempt du préjugé rationaliste.

II. Développement prétendu du prophétisme hébreu. — Le prophétisme a passé en Israël par trois périodes distinctes et caractéristiques : 1° celle des débuts sous Samuel ; 2° une période de transition jusqu'à Élie et Elisée, sous Achab ; 3° celle des prophètes écrivains, qui va du vme siècle au iv= avant JésusChrist.

r. période des débuts sous samvel. — Tous les critiques soi-disant indépendants sont actuellement d’accord pour placer l’apparition du prophétisme proprement dit en Israël vers la fin de la période des Juges, sous Samuel, qui est lui-même un des premiers prophètes, sinon même le premier des prophètes au moins d’une catégorie particulière-. En effet, si quelques-uns confondent encore tous les prophètes de cette époque dans une seule classe d’hommes divinement inspirés et