Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome V.djvu/196

Cette page n’a pas encore été corrigée
383
384
PIERRE (PREMIÈRE ÉPITRE DE SAINT)


h) L'Épître reflète véritablement le caractère de saint Pierre, tel que nous le révèlent les récits des Évangiles et des Actes des Apôtres. Sa personnalité y apparaît tout entière, comme fait celle de saint Paul dans ses propres lettres. Nous y contemplons l’homme pratique, l’homme d’action, l’homme au tempérament ardent et généreux, l’homme qui exhorte avec bonté, en employant des expressions et des images pittoresques. C’est donc d’une maniéré très injuste que divers critiques regardent notre Épitre comme un produit littéraire dénué d’originalité. Voir en sens contraire Scharfe, Die Petrinische Strômung der neutestam. Litteratitr, 1893. Les images concrètes et frappantes y abondent ; cf. i, 7, 13, 18, 23, 24 ; ii, 2, 4, 5, etc. L’auteur dramatise son exposition au moyen d'épithètes vigoureuses, I, 4, 7, 8, 19 ; v, 10, etc. ; il emploie des verbes composés et varie les prépositions pour mieux exprimer les nuances de sa pensée, ], 2, 3, 5, 12, 13, etc. ; il a recours aux contrastes pour mieux insister sur l’idée, i, 6, 8, 11 ; ii, 4, 7, etc. Tout cela manifeste un esprit original, puissant, ardent, comme l'était celui de Simon-Pierre. Voir Belser, Einleit., p. 701.

OT. OBJECTIONS VES CBITIQUES CONTRE h' AUTHENTICITÉ. — 1° Histoire de leurs attaques. — Sans doute, ces différentes preuves intrinsèques n’ont pas la même valeurque les témoignages cités plus haut ; mais elles les corroborent singulièrement. Néanmoins, quoique si bien.accréditée de toutes manières, la J a Pétri ne pouvait pas plus échapper que les autres parties du N. T. aux procédés dissolvants de la critique rationaliste. Déjà Semler, en 1784, avait émis des doutes sérieux sur l’authenticité, que Gludius, un peu plus tard, a été le premier à nier franchement, dans son livre Uransichtende$Christentkums, Altowi, 1808, p. 296-300. Eichhorn, en 1818, a marché sur ses traces. F. Baur, Theol. Jahrbïtcher, 1856, t. ii, p. 193-198, et ses disciples (notamment Schwegler, Das nachapostol. Zeitalter, Tubingue, 1846, t. ii, p. 2-16 ; H. Holtzmann, dans Schenkel, Tlibel-Lexikon, t. iv, p. 495-498. ; Hilgenfeld, Einleit. in das N. T., p. 625-630) se sont particulièrement distingués par la violence de leurs attaques, mais sans pouvoir se mettre d’accord entre eux pour les détails de leurs théories, ni pour la date de l'Épître, etc. Celle-ci serait, comme tant d’autres parties du Nouveau Testament, un écrit de conciliation, Unionsschrift, destiné à célébrer l’harmonie finalement établie entre les deux grands partis hostiles, le Pétrinisme et le Paulinisme. Elle démontrerait, en même temps, comment les idées pauliniennes peuvent être mises à profit dans l’intérêt du parti judéo-chrétien. Baur, loc. cit., p. 219-222. De là ces réminiscences perpétuelles des épîtres de saint Paul qu’on prétend découvrir dans la / a Pétri (voir plus bas, col. 385) et qui donneraient, assure-t-on, « l’impression que la lettre provient d’un disciple de Paul. » Mais, comme on l’admet universellement aujourd’hui, « cette théorie (de l'école de Tubingue), qui est profondément ébranlée d’une manière générale, est réfutée en particulier dans l’application qui en a été faite à I Pet. » Harnack, Chronologie, t. i, p. 456. D’après Jùlicher, Einleit., p. 134-136, de la l re édit., la lettre, à cause de ses relations avec l'Épître aux Romains, aurait été composée par un chrétien qui résidait alors à Rome, mais qui était originaire d’Asie Mineure. Selon von Soden, Hand-Comment. zum N. T., t. iii, 2e part., p. 117, la lettre aurait Silvain pour auteur. Cf. v, 12. Me Gilfert, History of Christianity in the aposlolical Age, p. 598, l’attribue à saint Barnabe. D’autres critiques s’en sont tenus à l’opinion traditionnelle, mais en admettant que l’tpitre est dans un état d’infériorité et de dépendance par rapport aux écrits de saint Paul ; ce qu"on explique en disant que Pierre, pratique avant tout, n’avait pas une grande originalité littéraire (Bleek, etc.), que c'était un théolo gien médiocre (Renan), ou du moins une nature « réceptive, impressionnable » (Salmon). Suivant Harnack, Lettre der zivôlf Apostel, t. ii, p. 106-109, et Chronologie, t. i, p. 455-465, les premières et les dernières lignes de l'Épître, i, 1-2 ; v, 12-14, n’appartiendraient pas au texte primitif ; elles auraient été ajoutées à la lettre, lorsque celle-ci fut officiellement déclarée canonique. Le document primitif, i, 3-v, 11, que ce fût une lettre ou non (ce que M. Harnack avoue ne pouvoir déterminer), serait l'œuvre de « quelque docteur ou professeur distingué », qui l’aurait peut-être composé à Rome, entre les années 83-93, ou même vingt ans plus tôt. Toutefois, d’une part, l’adresse de la lettre, qui est si concrète et caractéristique, et, d’autre part, la conclusion, dont les détails conviennent si bien à saint Pierre, protestent contre cette hypothèse ; et puis, qu’aurait été ce document original, comme nous l’avons vu, et attribué au prince des apôtres dès la plus haute antiquité? Le D r Harnack sent si bien la faiblesse de sa conjecture, qu’il se déclare prêt, au cas où on la trouverait inexacte, à « regarder l’improbable (c’est-àdire, ce qui est improbable à ses propres yeux) comme possible, et à revendiquer l'épi tre pour Pierre luimême, plutôt que de supposer qu’elle a été écrite par un pseudo-Petrus. » Chronolog., t. i, p. 464.

2° Première objection. — L’argument tiré des affinités de la i 3 Pétri avec les Épîtres pauliniennes et l'Épître de saint Jacques, est mis fréquemment en avant par les critiques contemporains. D’après eux, cette affinité serait telle, que la lettre ne pourrait pas avoir été composée par saint Pierre, mais seulement par un disciple de saint Paul. Voir McGiffert, l. c, p. 593-595 ; Jùlicher, Einleit., p. 132-133 ; H. Holtzmann, Einleit., p, 313-316. Cette assertion remonte aux dernières années du xviir 3 siècle ; mais elle a été surtout développée a u débu t du xixe siècle, par Scholz, Der schriftstell. Werlh und Charakter des Johannes, 1811, p. 12, par Eichhorn, Einleit. in das N. T., 1814, t. iii, § 284-286. Ce dernier rattache presque toutes les pensées et les expressions de la / » Pétri aux Épîtres de saint Paul. Le savant catholique Hug, Einleit. in die Schrift. des N. T., te édit., t. ii, §166, les protestants Scholt, Isagoge, 1830, § 96, de Wette, Lehrbuch der Einleit., 5e édit., 1848, § 172, et d’autres reconnurent aussi, mais avec plus de mesure, qu’il existe un certain nombre de ressemblances préméditées entre notre Épître et celles de saint Paul : saint Pierre aurait fait ces emprunts à dessein, parce qu’il écrivait à des chrétientés fondées par saint Paul (Hug) ; ou bien, il aurait voulu manifester sa conformité de pensées avec l’Apôtre des Gentils, soit contre les hérétiques (Schott), soit sur l’ensemble de la doctrine chrétienne (de Welte). Voir aussi la Zeitschrift fur wissenschaftl. Théologie, 1874, p. 360-375 ; 1881, p. 178-186, 332-342.

D’assez bonne heure on protesta contre cette affirmation, spécialement contre sa forme la plus exagérée, et on essaya de démontrer, tantôt dans les articles de Revues, — Ransch, dans le Krit. Journal de Winer et Engelhardt, t. viii, 1828, p. 396 ; Liicke, dans les Theol. Studien und Kritik., 1833, p. 528, — tantôt dans les ouvrages proprement dits (Mayerhoff, Hist. krit. Einleit. in die pétrin. Schriften, 1835, p. 104 ; B. Brûckner, édition remaniée du commentaire de L. de "Wette, 1853, Introd., § rv ; B. Weiss, Der pétrin. Lehrbegriff, p. 381, que saint Pierre n’a utilisé nulle part les lettres de saint Paul, ou du moins que le fait est très douteux et ne saurait être prouvé avec certitude, ou enfin que les prétendus emprunts se bornent à des réminiscences et à des échos plus ou moins conscients. L’ouvrage du D r B. Weiss est particulièrement remarquable sur ce point. Sans nier que saint Pierre ait connu les écrits de saint Paul et qu’il ait pu s’en approprier quelques pensées ou expressions, lorsqu’elles cadraient avec le thème qu’il avait à traiter, l’auteur