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PHILON


intermédiaires qui agissent sur ce monde sans que Dieu ait à se commettre avec lui. Philon prend ces êtres intermédiaires là où il les trouve ; il emprunte les « idées » à Platon, les « énergies » aux stoïciens, les « anges » à la théologie juive et les « démons ou génies » à la mythologie grecque. Ces forces spirituelles, identiques-malgré la diversité des noms, sont les agents de Dieu en ce monde ; c’est par elles qu’il le gouverne. Les intermédiaires ainsi supposés sont en nombre illimité ; quelquefois Philon les réduit à trois, quatre ou cinq, ou même à deux, l'énergie créatrice appelée Dieu, et l'énergie royale appelée Seigneur. Philon leur accorde la personnalité, mais parfois la leur refuse. Il les place si avant dans l’essence divine qu’on a peine à les en ' distinguer ; et cependant, il faut bien qu’ils en soient distincts, pour éviter à Dieu ce contact avec le monde que l'écrivain déclare impossible. Cf. Zeller, Die Philosophie der Griechen, Leipzig, 1881, t. iii, 2, p. 365.

IV. LE logos. — Pour Philon, le Logos est à la tête de tous ces êtres. Il est l’agent par excellence de la puissance divine. Il n’est ni incréé, comme Dieu, ni créé comme les autres êtres. Il est parole créatrice, et non-seulement l’organe de Dieu vis-à-vis du monde, mais encore le médiateur entre le monde et Dieu. On ne peut savoir cependant si, dans la pensée de Philon, il se confond avec Dieu ou s’il constitue une personne distincte de lui. Il est certain que les idées juives ne permettaient pas d’admettre une seconde personnalité divine qui eût paru inconciliable avec le dogme de l’unité absolue de Dieu. Voir Logos, 1 IV, col. 325-327, Le Logos exerce surtout son activité dans le monde moral ; il est l’inspirateur de tout bien, l’initiateur de toute vie supérieure, le guide du salut, le législateur, le grand-prêtre, l’intercesseur, l’introducteur dans la vie éternelle. Philon a certainement connu le livre de la Sagesse, composé au moins un demi-siècle avant lui, dans le milieu helléniste et alexandrin où il vécut lui-même. Cf. Sap., xiii, 8, 9, et De profug., 38, t. i. p. 577. Dans sa description du Logos, il s’en est inspiré d’autant plus volontiers que l’auteur du livre sacré s’inspirait lui-même de Platon. Voir Sagesse (Livre de la). « Il est incontestable qu’il y a entre les doctrines platoniciennes et philoniennes d’une part, et les endroits du livre de la Sagesse de l’autre part, un accord frappant, affectant non seulement le fond des pensées, mais encore l’expression. Il n’est pas possible que pareille concordance soit l’effet du hasard. Nous avouons donc volontiers que, dans sa description de la Sagesse, l’auteur sacré a fait des emprunts au platonisme et qu’il a, en suivant Platon, marché dans une voie à peu près parallèle à celle où.entra plus tard l’alexandrin Philon. » J. Corluy, La Sagesse dans l’A. T., dans le Congrès scient, internat, des cathol., 1889, t. i, p. 81. Aujourd’hui, on admet assez généralement le caractère stoïcien du Logos de Philon. Cf. Zeller, Die Philosophie der Griechen, p. 385 ; Schûrer, Geschichte, t. iii, p. 557 ; Bousset, Die Religion des Judentums in neutest. Zeitalter, Berlin, 1903, p. 346. Pour Philon, le Logos est encore l'âme du monde, idée qu’il emprunte à Platon. « Ce que l'âme est dans l’homme, le ciel, je pense, l’est dans le monde… Il y a donc deux natures indivisibles, la raison qui est en nous, et cette autre raison divine. » Quis rer. divin, hser., 48, t. i, p. 506. « Le Logos très ancien de Celui qui est, est entouré du monde comme d’un vêtement… Comme il est le lien de toutes choses, il tient ensemble et resserre toutes les parties, ne les laissant ni se dissoudre ni se disperser. » De profug., 20, t. i, p. 562 ; cf. De migr. Abrah., 1, t. i, p. 436. Cf. J. Lebreton, Les théories du Logos au début de l'ère chrétienne, p. 63-90 ; Hackspill, Etude sur le milieu religieux et intellectuel du Nouveau Testament, dans la Revue biblique, 1901, p. 379-383.

r. le xoifDE. — Dans bon nombre de passages, Phi lon affirme nettement l’idée de création. Dieu a tout tiré du néant, Leg. alleg., iii, 3, 1. 1, p. 89 ; il a appelé du néant à l'être. De justit., 9. t. ii, p. 367, etc. Philon reproche aux philosophes d’avoir ignoré la création. De opif. mund., i, 61, t. i, p. 2, 41. D’autres fois, par une singulière inconséquence, il la nie. De plantât., 1, t. i, p. 329 ; De profug., 2, t. i, p. 547. Ailleurs, De somn., ii, 6, t. i, p. 665, il suppose comme préexistante une matière informe, indéterminée, sans qualité, à laquelle Dieu donne la forme, la détermination, la qualité et une âme. Cf. De opif. mund., 5, t. i, p. 5. En tous cas, Dieu n’agit sur la matière que par son Logos et les êtres intermédiaires. Ceux-ci continuent l'œuvre première en veillant à la conservation et au gouvernement du monde. Les astres sont des êtres intelligents, composés d’une âme et d’un corps, mais dont la volonté toujours droite ne pèche jamais. De opif. mund., 24, t. i, p. 17.

vi. l’homme. — Toutes les âmes préexistent à l’union avec le corps. Elles habitent les régions aériennes. Il en est qui s’approchent de la terre et finissent par s’unir à des corps mortels. Si elles le font pour se livrer à la philosophie, elles retournent ensuite à la demeure céleste ; mais elles sont perdues si elles se laissent absorber par le corps. De gigant., 3, t. i, p. 263, 264. « L’homme est mortel selon le corps, et immortel selon l'âme. » De opif. mund., 46, t. i, p. 32. Mais Philon ne sait affirmer l’immortalité que pour les justes. Il parle des Juifs persécutés qui « se précipitent volontiers vers la mort, comme vers l’immortalité. » Leg. alleg., 16, t. ii, p. 562. Il ne dit rien de la sanction réservée aux méchants, ni rien de la résurrection, malgré ce qu’il pouvait lire à ce sujet dans les livres de Daniel, des Machabées et de la Sagesse.

vu. la religion. — Elle consiste à connaître et à honorer le Dieu unique. Le vrai prêtre est aussi un prophète, illuminé de Dieu. De justit., 8, t. ii, p. 367, 368. Le Juif doit exercer le prosélytisme, De victim., 12, t. ii, p. 260, 261, mais avec douceur, parce que les idolâtres sont victimes de leur éducation et de leur ignorance. De monarch., i, 7, t. ii, p. 220. Quant aux apostats, ils sont dignes de toutes les poursuites et de tous les châtiments, Aux Juifs qui seraient tentés d’innover, en matière de religion, il rappelle qu' « il n’est pas avantageux d'ébranler les coutumes des ancêtres. » Adv. Flacc, 6, t. ii, p. 523.

vin. la morale. — Le grand principe de la morale philonienne est le dégagement de la matière, source de tout mal. Comme les stoïciens, Philon impose l’obligation de combattre et de contenir les passions, les besoins et les affections sensuelles. Il se distingue d’eux, cependant, en ce qu’ils estimaient cette lutte à la portée des forces humaines, tandis que, pour lui, on ne peut la mener à bien qu’avec le secours de Dieu. Seul, Dieu peut faire croître la vertu dans l'âme, et cette vertu consiste à tout faire en vue de Dieu. Il suit de là que la foi en Dieu est le premier des devoirs, tandis que l’incrédulité est le pire des crimes. La récompense de la vertu sera la vue même de Dieu dans autre monde. Mais, dès ici-bas, on peut s'élever jusqu'à cette vue de Dieu par l’extase. En état d’extase, l'âme s'élève au-dessus de tous les êtres, même du Logos, et plonge dans l’essence divine elle-même. On arrive à l’extase en se dépouillant de soi-même pour s’abandonner passivement à l’action de Dieu. On est alors animé, comme les cordes d’un instrument, par le souffle d’en haut et, de fils du Logos, on devient fils de Dieu et presque l'égal du Logos. Philon prétend avoir atteint plusieurs fois cet état extatique. Cf. Quis rerum divin, hseres, t. i, p. 482, 508, 511. Le règne messianique, tel qu’il le conçoit, n’est guère que l’extension de cet état d’extase à toute la nation juive. Les Juifs pratiqueront alors de si sublimes vertus que les na-