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PHILIPPIENS (ÉPITRE AUX)


col. 1196. Origène et Eusèbe reconnaissent aussi son origine paulinienne qui a été admise par toute l’antiquité. Les premiers doutes, à ce sujet, ne commencent qu’avec Schrader qui attaque l’authenticité d’une partie de la présente Épitre, iii, 1-iv, 9. En 1845, Baur et ses disciples la rejettent complètement. Voici leurs griefs. Cet écrit, disent-ils, est dépourvu de toute originalité : c’est une imitation des autres Épîtres. On y trouve, de plus, des idées semi-gnostiques, une doctrine sur la justification qui n’est pas celle de Paul, des anachronismes évidents comme l’existence de l’épiscopat et du diaconat, autant d’indices de l’époque réelle où ce pastiche aurait été composé, c’est-à-dire au second siècle, quand s’opère la réconciliation des deux partis en lutte dans l’Église, partis symbolisés ici par les deux diaconesses, Èvodie et Sjntyque, IV, 2. Le nom de Clément dont la tradition faisait un ami de Pierre et que l’auteur de l’Épître présente comme un collaborateur de Paul, n’est qu’un mythe destiné à concourir à cette œuvre de conciliation.

Ces difficultés de Baur ne présentent guère plus qu’un intérêt purement historique depuis les travaux de Lûnemann, Pauli ad Phil. Ep. contra Baurium défendit, 1847 ; B. Brûckner, Ep. ad Phil. Paulo auctori vindicata contra Baurium, 1848 ; Ernesti, dans les Studien und Kritiken, 1848, p. 858-924 ; Schenkel, Bibelleœicon, 1872, t, iv, p. 531. Cependant, après plusieurs années, l’Épître aux Philippiens fut de nouveau combattue par llitzig, 1870 ; Kneucker, 1881 ; Huisch, 1873 ; Hœkstra, 1875 ; Bindermann, 1885, et surtont par Holsten qui reprit l’attaque avec plus d’ardeur ; abandonnant les arguments ruineux de son maître, les rapprochements imaginaires avec le gnosticisme et les allusions aux légendes du second siècle, il prétendit prouver que la langue et les doctrines de l’Épître aux Philippiens n’étaient pas celles des autres écrits de l’Apôtre. Il dressa un catalogue très minutieux des expressions propres à cette Épitre et les mit en regard des locutions habituelles aux grandes Épîtres de saint Paul, Voir Lightfoot, dans le Speaker’s Conimentary on Phil., p. 43. On y trouve une quarantaine d’hapaxlegomena, mais cela ne prouve rien. On en compte plus de cent dans l’Épître aux Romains et plus de deux cents dans la première Épître aux Corinthiens. « Toutes les raisons avancées dans ce domaine contre l’authenticité n’ont de valeur que pour celui qui’fait de l’apôtre Paul, cet esprit le plus vivant et le plus mobile de tous ceux que le monde a jamais vus, un homme d’habitude et de routine, qui devait écrire chacune de ses lettres comme toutes les autres, ne faire que répéter dans les suivantes ce qu’il avait dit dans les précédentes, et le redire toujours de la même manière et dans les mêmes termes. Dès que l’on a renoncé à cette manière de voir, toutes les objections contre l’authenticité de la lettre aux Philippiens tombent d’elles-mêmes. » Schûrer, dans la Litteratur Zeitung, 1877. D’ailleurs, la terminologie paulinienne n’est pas absente de notre Épître. On y relève une vingtaine de mots exclusivement employés par saint Paul, tels que fîpaëeîov, SoxtpiTi, gvSeiÇtç, xevoOv, etc., étrangers aux autres livres du Nouveau Testament. De plus, nombre de tournures de phrases, de figures, de procédés de style, certaines répétitions de mots rappellent les grandes Épîtres les plus authentiques. « Cette lettre, dit Schenkel, dans Bib. Lexïk., 1872, t. iv, p. 531, porte la garantie de son authenticité dans son style et ses expressions mêmes, dans la fraîcheur du sentiment intime qui l’a dictée, dans la sérénité d’esprit et la tendresse de cœur qui s’y expriment de la manière la plus naturelle, et sans la moindre trace d’affectation. »

Quant aux divergences de doctrine, Holsten, dans Jahrb. fur prot. Theol, t. î, p. 125 ; t. ii, p. 58, 282, en allègue deux principales. 1° La christologie. — Holsten

trouve une opposition entre le Christ de l’Épître aux Philippiens et celui de la première Épitre aux Corinthiens, xv, 45. D’après celle-ci, dit-il, saint Paul conçoit le Christ dans sa préexistence, comme un homme céleste, avOpwnoi ; ênoôpavtoç, alors que dans l’autre Épître, il en fait un être purement divin, èv (iopiiꝟ. 9eoG ûnap^uv, qui ne devient homme que par l’Incarnation, appartenant, par suite, à un ordre d’êtres plus élevé que l’humanité, même céleste. — Il suffit, pour lever la contradiction, de replacer, dans son contexte, le passage allégué de l’Épître aux Corinthiens, où l’Apôtre parle, non de la préexistence du Christ, comme dans l’Épître aux Philippiens, mais du Christ après sa résurrection, revêtu du corps spirituel, incorruptible et lumineux qu’est celui des justes qui ressuscitent. La doctrine christologique de cette’Épître n’est pas davantage en opposition avec celle des autres Épîtres pauliniennes. Seulement elle reproduit, sous une forme peut-être plus philosophique, ce qu’avait enseigné l’Épître aux Galates, iv, 4 : « Or, quand le temps est venu, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme ; » l’Épître aux Romains, viii, 3 : « Dieu a envoyé son propre Fils dans une chair semblable à la chair du péché ; » la IIe Épitre aux Corinthiens, viii, 9 : « Jésus-Christ, lui qui, étant riche, s’est fait pauvre à cause de nous. »

2° La justification. — On a encore objecté que celui qui, dans les Épîtres aux Galates et aux Romains, a si énergiquement opposé entre elles la justification par Dieu, Sixatoaw/i t| ex 6eo-3, et la justification par la foi, StxacoCTTjvvi ztzï ttj 7u’<ttee, n’a pu dire, comme le fait l’Épître aux Philippiens, iii, 6, que sa justice légale était apis|jijiTo : , « irréprochable. » Mais il est facile de voir que l’Apôtre se place, en cet endroit, au point de vue juif, extérieur, charnel qu’il combat lui-même. Racontant son passé, il veut rappeler son zèle pour le judaïsme et montrer qu’il n’était, sur ce point, inférieur à aucun de ses contemporains. Il a donc recherché avec ardeur la justice légale, mais c’est pour en avoir expérimenté l’impuissance qu’il l’a plus tard rejetée avec tant d’énergie. Aussi, même les auteurs qui tiennent en défiance les Épîtres aux Éphésiens et aux Colossiens (Jûlicher, Hilgenfeld, Pfleiderer, Lipsius, Holtzmann) sont unanimes à défendre celle-ci. L’authenticité de l’Épître aux Philippiens est donc un résultat définitivement acquis dans le domaine de la critique scientifique. Voir Knowling, The witness of the Epistles, p. 63.

V. Intégrité. — L’expression ro Xotràv, au reste, qui ouvre le c. m de l’Epître, a donné lieu à divers doutes sur l’unité de l’Épître tout entière. Clemen soutient que l’épître actuelle se compose de deux lettres de l’Apôtre à l’église de Philippes, la seconde comprenant H, 19-24 ; iii, 2-iv, 3 ; IV, 8, 9. Seulement c’est l’éditeur et non Paul lui-même, qui aura fondu les deux lettres en une seule. Die Einheil d. paulin. Briefe, 1894. Pour Spitta, Zur Geschichte und Litt. d. Vrchristenthums, 1893, l’Épître actuelle est interpolée : il n’y verrait de la main de l’Apôtre que les passages suivants : i, 1-7, 12-14, 18-26 ; ii, 17-29 ; iv, 10-21, 23 ; tous les autres auraient été ajoutés par une main étrangère. — Toutes ces hypothèses n’arrivent pas à expliquer pourquoi saint Paul n’a pas encore remercié les Philippiens de leur envoi d’argent, auquel il a déjà fait allusion, i, 5, 11 ; ii, 30. La lettre ne doit donc pas se terminer au ch. m. La locution t’o Xotoôv n’est pas, en soi, la conclusion obligée de toute lettre de Paul ; elle lui sert assez souvent de transition pour passer d’un sujet à un autre ; 1 Cor., vii, 29 ; Phil., iv, 8 ; I Thés., iv, 1 ; Il Thés., iii, 1. Voir Jacquier, Histoire des livres du N. T. t. i, p. 352, 1903 ; Lightfoot, St. Paul’s Epistle to the Philippians, 4e édit., 1885, p. 69.